Aujourd’hui je vous raconte un truc fou ! Aujourd’hui je vous parle de la joie, de la joie dans les rencontres les plus difficiles, les plus douloureuses, celles où parfois nous avons peur de rentrer en contact avec l’autre car on ne sait plus quoi lui dire…
J’ai eu la chance de rencontrer cette femme, Mathilde.
Mathilde a 70 ans, elle est hospitalisée car les médecins viennent de poser le diagnostic de maladie de Charcot. Vous savez cette maladie où vous vous retrouvez progressivement piégé dans un corps qui se paralyse… Depuis quelques semaines, elle a de grosses difficultés pour manger et ne parle quasiment plus. Son fils, qui s’occupe d’elle, décide de la faire hospitaliser via les urgences car elle ne mange plus rien et elle est cachectique.
Lorsque je rentre dans la chambre, je découvre une femme qui n’a que la peau sur les os, une sonde nasogastrique (tuyau qui passe dans le nez et va directement dans l’estomac pour passer une alimentation adaptée liquide), elle ne parle pas, ne bouge pas, et pourtant…. Et pourtant, elle est là. Son regard, sa présence, je ne saurais vous dire, elle est là…
Elle comprend tout, elle sait tout ce que les médecins ont trouvé et elle a envie, elle veut vivre. Elle veut le tuyau pour manger, elle veut reprendre des forces, elle veut rentrer, elle veut continuer à vivre.
Je n’arrive pas à la comprendre, la maladie a paralysé sa parole. L’entretien est difficile et je me dis ….. Je me dis qu’il faudrait communiquer autrement avec elle.
Cette dame me touche, elle était assistante maternelle, elle ne sait ni lire ni écrire et a eu 5 enfants. Elle vit avec son mari et son fils qui s’occupe d’elle. Il est kinésithérapeute ! Imaginez là où elle a mené ses enfants en partant de RIEN, juste avec de l’amour !
Alors je vais chercher de la musique. Elle n’en veut pas…
Elle ne veut pas de musique…. Tant pis j’en mets un peu…. Nina SIMONE je crois….
Mais ma blouse me gêne, je n’en veux pas. Alors je sors de la chambre, laisse la musique et dans le couloir j’enlève ma blouse, je détache mes cheveux. Je re-rentre, je m’approche d’elle, doucement, je la caresse, et je lui propose de l’emmener loin dans un voyage en dehors de ces murs.
Et là elle me fait oui de la tête ! Je me dis Yes !!!! Je m’assois près d’elle, la fait respirer. Elle me fait signe que quelque chose est coincé dans sa gorge. Alors je respire fort avec elle et lui dis que nous allons ensemble mettre de l’énergie dans notre respiration pour faire de la place à l’air qui a besoin de passer. Et elle respire de plus en plus fort, j’entends même des sons à la fin de son expiration…. Je l’encourage, la félicite, lui dit qu’elle est pleine de force et d’énergie.
Je lui dis aussi qu’il y a sûrement plein de vie dans ce corps, plein de joies, de moments merveilleux. Et je l’invite à partir quelque part où elle est bien, un endroit qui respire le merveilleux, le beau, avec des gens qu’elle aime… Et je lui dis que je la porte en dehors de ces murs et que l’on sent le vent, le rire des enfants, la mer, l’air frais sur nos joues.
J’ai toujours sa main dans la mienne et nos mains dansent ensemble.
Je lui dis :
Tu te rappelles de tous ces gens ? De ces instants magiques et merveilleux ?
Est-ce que tu ressens la joie qui t’envahit, cette joie qui est à l’intérieur de toi, pas loin…. (On a basculé sur du MOZART)
Là son regard ne me fixe pas, elle me fait quelques oui de la tête mais je sens qu’elle est partie, loin à l’intérieur d’elle ! D’un coup, je vois ses larmes, et je réalise que ses muscles font de son visage un visage figé, qui ne peut exprimer ni rire, ni pleur, et pourtant c’est ce qu’elle est en train de faire, de rire et de pleurer !!! Et on danse du poignet ! Et moi je suis seule avec elle ! J’oublie la voisine de chambre derrière le paravent, bref je vole !!!
Je lui demande si elle veut revenir ici, et vous savez ce qu’elle me dit :
NON !!! Elle me fait non de la tête ! C’est dingue …..
Alors après je ne dis plus rien à part des mots de temps en temps comme : profite, ressens la joie, tout est là à l’intérieur de toi, ça t’appartient, c’est à toi, c’est un cadeau que tu t’offres.
Je vais ensuite la laisser, avec la musique que finalement elle veut garder, et je m’éclipse, en reculant, en envoyant des baisers, en sortant de la chambre avec mon sourire.
Cette joie profonde est ancrée en nous comme un arbre est ancré à la terre. Les racines de cette joie vont au plus profond de notre être et nourrissent l’arbre que nous sommes. Personne ne peut la détruire, rien ne peut l’anéantir. Si nous pouvions imaginer que nous sommes un arbre, alors nous pourrions être morts en apparence, avoir le feuillage flétri, le tronc pourrait paraître sec mais les racines seraient vivantes, la sève serait là, sous terre …. Si vous ne l’avez pas déjà fait, je vous invite à découvrir la chercheuse de trésor, le docteur de la joie, ici.
Cette joie ne demande qu’à être cherchée, comme un trésor au milieu du désert. Parce que lorsque l’on met la main dessus, on tient la ressource vitale d’un être humain. Ce qui va lui permettre de prendre des ressources pour affronter ce qu’il traverse. Ce n’est pas un médicament, une thérapie, une perfusion, un protocole, c’est la connexion avec son essence même.
Prendre le temps de se remémorer des souvenirs, des personnes, des odeurs, des plats délicieux, des sensations, un paysage, un voyage, un amoureux et laisser remonter tout ce qui y est associé.
Pensons à laisser rentrer la joie dans les moments difficiles, osons la joie dans la maladie, ici et maintenant, soyons créatifs !
Pourquoi cette joie est si importante ?
Prescription, soin, approche non-médicamenteuse. Tout autant de pratiques visant la guérison, la rémission, le soutien, le soulagement. Mais sont-ils vraiment les seuls traitements ? N’existe t’il que des médicaments ou des techniques extérieures pour soulager ou réparer l’intérieur ? Pensez-vous que le plus grand médicament en nous, soit disponible chez tout le monde ?
Et si la plus grande force, la plus grande richesse se trouvait à l’intérieur de soi ?
Quand on regarde bien, nous les soignants apportons toute la journée des thérapeutiques pour soulager le patient :
Une chimio pour stopper le cancer
Des médicaments pour les effets secondaires
Un anxiolytique pour l’angoisse
Un anti-dépresseur contre l’extrême tristesse
Un somnifère pour le sommeil
Des approches non-médicamenteuses pour relaxer, apaiser, détendre
Mais que faisons-nous pour guider l’autre sur le chemin qui mène à sa malle au trésor ?
Parce qu’au creux de nous, tout près de notre enfant intérieur, est posé une malle. Une malle incroyable renfermant des ressources inépuisables.
Si vous lisez cet article, je vous invite à vous remémorer des souvenirs, des sensations, des expériences qui vous ressourcent, vous apportent paix, joie et énergie.
Un lieu merveilleux ?
Une plage ? un champ de blé ? Une montagne ?
Une maison ?
Les gens que vous aimez ?
Un bébé ? Un enfant ?
Un fou rire ?
Un bon vin ? Un plat délicieux ?
Les gens que vous aimez ?
Les caresses ?
Les câlins ?
Les nuits coquines ?
Un animal ?
Un Noël sous la neige ? Une aurore boréale ? Un coucher de soleil ?
Une naissance ? Un mariage ?
Des ami(e)s
Qu’est-ce qui vous rend heureux sur cette terre ?
Parce que finalement c’est tout à l’intérieur de vous. C’est intact et inviolable.
Quand nous prenons soin des autres, nous pouvons nous appuyer sur la connaissance de cette malle au trésor. Si nous invitons nos patients à se connecter à cette malle, peut importe l’épreuve qu’il traverse, il y trouvera un espace de ressource. Un espace qui lui permettra de trouver la force de se sentir vivant, de se sentir ici et maintenant dans la vie. Parce que le bonheur peut se trouver des interstices pour exister.
Nous pensons trop souvent à tord que la maladie ou l’épreuve de vie que l’on traverse sera plus forte que la joie, plus forte que le rire, plus forte que le bonheur. Comme si dans une tempête ou un orage, l’éclaircie n’avait pas de place.
Or c’est exactement là que réside toute la puissance de l’accompagnement. Si pendant vos soins vous pouviez permettre à vos patients de se rappeler ces moments, de fermer les yeux et de revivre, juste de revivre. Vous permettez la connexion, vous permettez l’autorisation, vous livrez la carte, le chemin.
Nous ne sommes pas dans une société qui se permet de partager ce qui nous rend heureux. Si jamais vous le faites, vous verrez que rapidement votre entourage vous demandera si vous êtes malades ou si avez une mauvaise nouvelle à annoncer. Le partage des expériences ou sensations positives est souvent réservé à l’heure des moments tragiques. Donc nous partageons souvent que ce qui ne va pas, ce qui nous gêne, nous limite, nous embête, nous agace, nous révolte etc, etc …
Pourtant le partage des moments heureux est un sas de décompression incroyable. C’est ce que faisait nos grands-parents en se plongeant dans les albums photos. C’était un moment de partage, en famille où il y avait une place pour l’évocation du bonheur. Aujourd’hui nos vies digitales nous éloignent de ces temps forts de connexion à notre malle au trésor.
Pas étonnant que nous soignants, nous ne sommes pas en capacité de montrer le chemin à nos patients. Simplement car nous ne l’empruntons pas nous-même pour nos proches ou pour nous. C’est donc une gêne qui s’installe et parfois des questionnements comme :
Peut-être que je vais le rendre encore plus triste ?
Et s’il se met à pleurer ?
Je n’ose pas le faire
Comment va-t’il le prendre ?
Pourtant je vous invite à le tester.
Je vous invite à emmener vos patients à la découverte du leur malle au trésor. Vous leur apporterez certainement l’accompagnement le plus humain qu’il existe, mais surtout, vous leur permettrez d’y retourner dès qu’ils en auront besoin. Vous lui faites découvrir une ressource inépuisable et qui ne dépend pas de l’autre.
On pourrait presque parler d’autonomie du bonheur !
L’incroyable avantage de cette méthode, c’est que tout est intact dans le coeur. Donc pas besoin de mise à jour, de formation, de pré-requis, de compétences. C’est éternellement intact et disponible.
Pas besoin d’étude de santé, de psycho, de sophrologie, d’hypnose, c’est tout là, disponible, intact et intemporel.
Demain, vous allez donc parler des premiers bals avec vos résidents d’EPHAD, de la naissance des enfants de votre patiente de la chambre 10, du plus beau voyage que le patient d’hôpital de jour a vécu. Demain vous allez les emmener en exploration intérieur. Demain vous allez les connecter à leurs propres ressources de joie intacte.
Demain vous devenez des soignants de joie, des soignants ressources. Ce que vous avez toujours voulu être en fait !
Demain vous décidez que le bonheur c’est maintenant 🙂
Demain vous serez plus grand que votre corps, plus grand que votre blouse.
Demain votre patient sera plus grand que la maladie, plus grand que sa douleur, plus grand que son malheur.
Relions-nous pour plus de grandeur.
Parce que le plus grand médicament est en nous.
Cynthia, auteure, infirmière, Neztoile, accompagnatrice des soignants.
Plus d’articles sur mon blog destiné au prendre soin des professionnels qui accompagnent des personnes vulnérables.