Il arrive qu’une tempête existentielle te dépouille jusqu’aux os. Que ce soient un deuil, un déménagement, un licenciement ou un autre aléa, il arrive que tu te retrouves démuni de ce que tu considérais comme permanent et essentiel. En prenant conscience que tu n’as plus rien parce que tu n’es plus au contact de ce qui t’était si cher, tu crois que tu n’es plus rien. Tu confonds l’avoir et l’être. C’est bien compréhensible !
Ouvre alors ton cahier sur une nouvelle page et fais ton inventaire ! Un inventaire intérieur, subtil, secret et spirituel. Même si le réel te prouve le contraire, qu’as-tu gardé de si important que même le temps ou la vie ne peuvent te le dérober ? Qu’as-tu caché en ton âme si précieusement car ce trésor était vivant ? Souviens-toi que, contrairement aux apparences, ce qui t’est cher n’a aucun rapport avec la matérialité en tant que telle.
Quand j’ai perdu mon père, j’ai fait la liste de ce qu’il me restait. Et c’était
- La souvenance d’une promenade dans la forêt d’automne ; l’empreinte de ses pas dans la terre mouillée
- La poésie qui me consolerait toujours du deuil
- L’écriture ; les prochains cahiers de toutes les couleurs qui s’empilaient sur mon étagère et auxquels, pourtant, je confierais mon chagrin – inéluctablement
- Le souvenir d’un arc-en-ciel à la lisière de la mer pendant nos vacances familiales dans le Sud
- Un cerisier en fleur sur un poster qu’il avait accroché au-dessus de son ordinateur
- Notre conversation au sujet d’un arbre centenaire, juste avant qu’il ne décède
- La vision des pamplemousses roses qu’il rapportait du marché
- La réminiscence de l’odeur du café qu’il préparait le matin
- L’éclosion du crépuscule par la fenêtre de sa cuisine tandis que j’écoutais une émission évoquant sur France Inter l’écrivaine indienne Taslima Nasreen, il y a de cela dix ans
- La lumière de la lampe sur son journal
Et toi ? Quels souvenirs conserves-tu de ce que tu as perdu ?
- Si c’est une maison, ce peut être l’explosion du bouquet du soleil dans ta chambre d’autrefois
- Si c’est un chien ou un chat, ce peut être la profondeur de leur regard
- Si c’est un objet, ce peut être sa couleur, son toucher, le bruit qu’il faisait quand tu t’en servais
- Si c’est un travail, ce peut être les rires de ta jeune collègue
- Si c’est un amoureux, ce peut être le tout premier instant où tu as découvert son grain de beauté
Fais aussi la liste de tes ressources psychiques. J’ai tenu pendant longtemps un journal de mes forces où j’ai rencontré ma créativité, ma volonté de résilience, ma combativité pour avoir une meilleure existence. Toi aussi, tu possèdes un don qui ne te quittera pas. Quel que soit ce qui se détachera de toi, tu auras toujours la possibilité d’avoir un pinceau, un encrier, un répertoire de chansons, un pas de danse que tu sais faire, juste un petit pas de côté qui te permettra d’esquiver la douleur.
Lorsqu’on fait le bilan d’une vie, on s’aperçoit que l’on ne garde pas des choses, des lieux ou des êtres, mais des moments.
Le poète Claude Roy a imaginé, à l’heure de son ultime voyage pour le pays inconnu, qu’il passerait la frontière entre l’ici-bas et là-haut, l’ici et là-bas, cette terre et l’outre-terre, en disant au Douanier :
– J’ai tout à déclarer !
Il voulait surtout déclarer les reflets du fleuve entre les feuilles et les méandres du chant que l’onde lui a laissés sous forme de poèmes. En effet, ce que l’on déclare à l’Univers grandit et s’élargit, pour revenir à soi démultiplié, telle une galaxie. Rien n’est retiré. Tout est rendu. Sous une autre forme. Un jardin peut devenir un livre. Un être cher, un oiseau qui visite nos matins.
Rien n’est acquis. Mais tout peut se recevoir et se redonner.
Fais donc ton inventaire de l’impalpable, de l’émotionnel, du mémoriel maintenant que la présence est devenue souvenir.
Tu ne te sentiras plus dépouillé, mais léger. Et ce sentiment de légèreté sera si grand qu’il te semblera traverser
Tout ce qui est.
Géraldine Andrée Muller
Écrivain privé-biographe familiale-écritothérapeute
Pour découvrir mon travail d’écriture biographique et thérapeutique, rendez-vous sur mon site : L’Encre au fil des jours