Comment prendre conscience de l’histoire qui se raconte en nous ? On croit souvent, à tort, qu’une autobiographie doit contenir des événements importants de notre vie – naissances, baptêmes, fiançailles, mariages – pour être palpitante…
Pourtant, lorsque l’on a acquis une certaine expérience de l’existence, on peut s’apercevoir que ce ne sont pas ces événements extérieurs qui composent la trame de notre vie, mais bel et bien des événements intérieurs – ces révolutions intimes, vécues dans le secret absolu de l’âme, ces révélations muettes et néanmoins éclatantes, ces prises de conscience qui, considérées isolément, semblent si minimes mais qui, additionnées les unes aux autres, ont la capacité de modifier notre trajectoire, ces fulgurances silencieuses comme des météores traversant un ciel de campagne, ces métamorphoses lentes ou soudaines de l’être, pourtant imperceptibles au regard d’autrui, ces petits bouleversements qui, certes, n’ébranlent pas tout notre quotidien mais qui, à la longue, changent notre perception sur celui-ci, nous incitant à sortir inéluctablement de notre zone de confort…
– C’est parce que la voie était libre et que le feu était vert que j’ai emprunté ce boulevard ! Maintenant que j’y songe, c’est le meilleur choix que j’aie pu faire… Si j’avais emprunté la voie où le feu était rouge, comme à mon habitude, je ne serais plus là pour vous raconter cette expérience…
– En plongeant ma main dans la pâte, j’ai mesuré combien mon existence auprès de cet homme était dure. Assurément, je ne pouvais plus continuer comme ça… J’étais une « trop bonne pâte ».
– La dixième fois, ce fut la goutte de trop ! Je n’étais pas le vase qui devait contenir son poison. Cela n’avait que trop duré…
En effet, rien n’est écrit et l’on peut changer son destin si l’on prête suffisamment attention à ce qui se passe en soi !
L’année 2000 fut pour moi décisive. Oh ! Ce n’était pas parce qu’elle initiait un nouveau millénaire ! Dans le récit que je vais vous raconter ici, l’événement qui a provoqué un changement radical de vie paraît relever de l’anecdote.
C’est en allant flâner dans le rayon d’une librairie dans la ville de D. que j’ai feuilleté le livre d’Eva Arkady, Dépendance affective : Oser être soi et s’en libérer. Préoccupée par mes soucis sentimentaux, j’ai lu quelques pages qui, certes, me parurent intéressantes mais mon esprit était trop en alerte pour que je prenne le temps d’acheter cet ouvrage que j’ai négligemment posé sur le rayon. En sortant cependant de la librairie, j’ai entendu une voix qui me disait bien distinctement :
– Achète ce livre ! Ta vie en dépend !
À contre-cœur, je me suis ravisée, pensant :
– T’es complètement folle, ma pauvre !
Et je suis à nouveau entrée dans la librairie pour acheter ce livre… Dix euros… Je me souviens encore du prix.
Le témoignage d’Eva Arkady fut une véritable planche de salut. Je me souviens que je l’ai lu d’une traite, allongée sur le grand lit de couple et qu’en le refermant, j’ai mesuré combien je vivais avec un homme invivable que je tentais de sauver désespérément de ses démons… Mais c’était une bataille perdue d’avance et j’allais y laisser ma peau. N’était-ce pas cela, la définition de la codépendance ? Se noyer avec l’autre en tentant de le ramener sur la berge ?
Inutile de dire que ces pages ont déclenché des événements extrêmement douloureux mais salvateurs : une scène conjugale d’une rare violence, une nuit passée seule à l’hôtel, un changement de serrure puis, à la fin de ce parcours chaotique, un déménagement dans une autre ville, une autre région…
Parce que, voyez-vous, ce sont les événements intérieurs qui déclenchent les événements extérieurs ; c’est le détail insignifiant qui vous fait signe pour vous indiquer qu’il est urgent d’évoluer.
Dans son ouvrage qui constitue une réflexion introspective sur la tenue de son journal intime, Une vie à soi, Marion Milner étudie ses conditionnements qui la projettent tantôt vers le passé, tantôt vers l’avenir, l’empêchant de se concentrer sur l’enjeu de tout ce qui se passe dans l’instant présent – ici et maintenant.
Un jour, la lassitude et l’ennui mènent la narratrice sur une falaise au bord de la Méditerranée. La fatigue l’accapare tellement qu’elle décide de lâcher prise sur ses velléités en déclarant « je ne veux rien » .
Et il se produit alors un insight – un éclair de perception – qui dégage son regard de toutes les illusions qui l’obscurcissaient :
« D’un seul coup le paysage se débarrassa de son vernis de carte postale et se mit à resplendir comme au premier jour de la création, y compris les herbes poussiéreuses au bord de la route. »
Non seulement la vision claire de la narratrice développe sa faculté de voir de la beauté et de la vie dans « les herbes poussiéreuses » , mais aussi elle restitue pour elle l’éclat originel du paysage comme au début du monde.
S’ensuit tout un apprentissage du regard – à travers la contemplation des paysages ou des tableaux de Cézanne – qui change sa façon de ressentir des émotions et donc de vivre.
Parfois, ce sont des événements extérieurs spectaculaires – tels des accidents – qui provoquent cet insight. Mais souvent, c’est l’insight lui-même qui déclenche un événement spectaculaire, positif pour l’évolution du protagoniste car les prises de conscience initient un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur. Le mouvement inverse – de l’extérieur vers l’intérieur – se produit lorsque le Moi a été sourd aux différents appels, signaux et clignotants envoyés par la Vie et qu’il devient urgent qu’une prise de conscience s’effectue. Ce que l’on prend pour un choc isolé dans la vie nous amène en réalité à davantage de compréhension de soi.
Marthe Marandola et Geneviève Lefebvre l’expliquent très bien dans leur essai Le Déclic libérateur : La prise de conscience : enquête et récits :
« Aussi soudaine et brusque soit-elle, la révélation profonde de la prise de conscience est toujours précédée par une période de travail invisible au plus profond de notre inconscient.«
Et c’est ce travail souterrain pour un jaillissement en plein jour de votre être que le parcours d’écriture biographique met en valeur.
Comment allons-nous procéder concrètement ?
Nous allons retracer, par l’écriture, le cheminement qui vous a conduit à cet « insight » , ceci afin que vous puissiez en reconnaître toutes les étapes bénéfiques, lors de vos révélations futures.
- Il est pertinent de retranscrire dans votre autobiographie les différentes questions que vous avez utilisées pour vous permettre d’y voir plus clair – questions qui, généralement, sont sous-tendues par toute une série de Pourquoi : « Pourquoi partir maintenant ? », « Pourquoi partir plus tard ? », « Pourquoi est-ce que je ressens une telle urgence ? », « Pourquoi ai-je envie de trouver une solution, alors que je n’ai pas toutes les réponses encore ? »
- De même, une énumération d’hypothèses enrichira l’évocation de votre déambulation intellectuelle ou émotionnelle : « Et si je nomme Jean dans ce livre, qu’arrivera-t-il ? », « Et si je le désigne par un vague Il, existera-t-il toujours aussi intensément dans mon cœur ? » . Nous pouvons ensuite passer en revue les sensations et sentiments que vous éprouvez face à l’alternative A ou B. Vous êtes-vous senti plus léger ou, au contraire, votre ventre s’est-il serré ? Quel est l’élan qui vous a électrisé, de façon à ce que vous optiez définitivement pour l’alternative A ?
- Nous pouvons aussi mettre en scène sur le papier un dialogue avec vous-même, avec deux instances opposées de votre être, la face claire et la face obscure. En ce qui me concerne, j’aime affronter dans mes cahiers le démon Niege – qui nie tout – et l’ange Inge – qui me met au contact de ma divinité profonde :
Niege – Géraldine est victime de son destin. C’est ainsi. On ne peut rien y faire !
Inge – Est-ce que, justement, on ne laisse pas le Destin s’accomplir inexorablement lorsque l’on n’a pas confiance en soi, lorsque l’on croit que l’on ne peut écrire sa vie ? Quand on n’agit pas pour soi, alors c’est le Destin qui décide parce qu’on le laisse dicter sa loi à notre subconscient !
- Nous mettrons l’accent sur tous les termes modalisateurs qui vous rapprochent de votre voix secrète, de votre ressenti intime, de cette subjectivité incontestable car elle vous révèle votre vérité à vous : « Je pense que Paul ne m’aime plus ; tout cela me semble absurde, feindre un couple harmonieux ; je trouve que je me porte mieux quand je m’octroie quelques moments en solitaire. C’est comme si je passais un doux tête-à-tête avec une amoureuse complice, moi-même »…
- Nous pouvons, de même, focaliser l’écriture sur la symbolique d’un objet, dont la présence, si significative, éclaire tout un pan de votre conscience resté dans l’ombre – jusqu’à cette vision. Dans le Journal d’une solitude, May Sarton insiste sur la lumière sanguine de son chrysanthème de Corée qui lui transfuse la vie après un week-end entier passé auprès d’un amant toxique qui l’a laissée émotionnellement exsangue. Dans Le Déclic libérateur, ce sont les feuilles desséchées d’un géranium qui ont montré à Michel que son existence ne dépendait pas d’un sens ou d’une mission quelconques, que le principe de vie se faufilait partout, y compris jusque dans les tiges les plus affaiblies pour les revivifier parce que le fait d’Être est la seule justification… Ce peut être une citation qui saute aux yeux lorsque l’on prend un dictionnaire, le vers d’un poème qui nous revient « par hasard » en mémoire, un slogan publicitaire qui nous fait s’exclamer : « Mais c’est vrai, ça ! »
En prêtant attention par l’écriture à tous ces signes, vous vous mettrez à l’écoute de toutes ces synchronicités qui jalonnent votre vie. Vous apprendrez à les déchiffrer et ainsi, à donner une vraie signification à vos décisions ultérieures.
De plus, votre autobiographie sera bien plus qu’un récit d’événements extérieurs, chronologiques et visibles par tous. Elle reconstituera vos déambulations intérieures et mettra en valeur votre être en permanente évolution – parce qu’il est riche de ses questionnements comme de ses certitudes, de ses doutes comme de ses intuitions, de ses manques comme de ses ressources.
Vous prendrez conscience que non seulement vous aurez écrit un livre, mais aussi que vous serez ce livre que d’autres ouvriront, afin de s’inspirer de l’éclat de vos prises de conscience dans le tracé de leur propre chemin.
Géraldine Andrée
Votre écrivaine privée-biographe familiale-écritothérapeute
Pour vous familiariser avec mon approche biographique et thérapeutique, rendez-vous sur mon site : L’Encre au fil des jours