Je souhaiterais vous parler aujourd’hui d’une pratique de mon journal : les pages du matin.
Le concept ne vient pas de moi, mais de l’enseignante en créativité, Julia Cameron.
« Que sont ces pages du matin ? Disons simplement que ce sont trois pages d’écriture manuscrite dans lesquelles on donne libre cours à ses pensées. »
Voici le bilan que je peux faire des pages du matin que j’intègre dans mon cahier-journal Leuchtturm.
Écrire mes pages du matin, c’est abandonner mon égo et me laisser aller à ce qui vient.
- En remplissant trois pages, juste trois pages, je ne me fixe aucun challenge littéraire. Je n’ai pas le souci de créer des effets stylistiques, de choisir des images pertinentes, de sculpter poétiquement ma pensée. J’apprends à redevenir humble et à accepter ma part limitée d’humanité, celle qui geint, s’impatiente, se désespère. Si un mot choquant, voire grossier, s’invite dans mon cahier, je le laisse entrer. Après tout, l’écrire m’évitera sans doute de le lancer à la figure de mon prochain dans la journée. Mes phrases sont simples, parfois réduites à un seul nom ou adjectif « Folle. Quelle idée. » Ma syntaxe se disloque ? Et alors ! C’est le signe que je restitue fidèlement les mouvements de mon humeur qui traversent mon être. Quand l’écriture m’emporte, toute ponctuation disparaît – indice que je m’abandonne vraiment à son flux :
« J’aurais tellement besoin de partir en vacances la mer qui se perd et me perd pourquoi ce désir de m’égarer«
- Remplir trois pages, juste trois pages, c’est s’accorder un espace-temps qui est long et court à la fois. Je ne peux me permettre de contourner la vérité. Et, en lien avec l’tem 1, je ne peux me cacher derrière une métaphore clinquante. La page du matin m’oblige à ôter mon masque. Si je suis triste, fatiguée, je l’écris. Si quelqu’un m’exaspère, je me l’avoue. Je ne feins pas d’être celle que je ne suis pas. Le contact avec le papier m’invite à être au contact de moi-même. Bien sûr, je peux être tentée de jouer à celle que rien ne touche, qui va bien. Mais il y a toujours un mot qui perce la carapace et alors, la vérité s’inscrit clairement : « Tu ne t’es jamais vraiment remise du deuil de tes parents. »
- Remplir trois pages, juste trois pages, c’est lâcher prise, renoncer à tout contrôle, toute rationalité. Je l’avoue : au début, cela a été dur pour moi. Mais maintenant, j’accepte de perdre le fil directeur de mon écriture. Je me fie au thème qui vient et qui remplace le précédent. Je sais qu’un chemin mène à un autre chemin, qu’un sujet débouche souvent sur un autre sujet. Enfin, je ne me juge plus comme avant : « Cela ne veut rien dire ce que tu écris. » Mieux : je trouve normal de passer du coq-à-l’âne et si une phrase surgit au milieu de la phrase que j’écris, je la laisse interrompre la phrase précédente. Ce n’est rien si un mot se suspend, est incomplet. Je sais que ce qui doit s’exprimer trouvera toujours la manière de le faire : « Il n’y a pas à dire. Ce boulot est… je vais m’acheter une bougie parfumée pour me consoler. INFAISABLE. »
- Remplir trois pages, juste trois pages, c’est aussi me confronter au silence. Dans ce cas, j’écris ce silence – comme le conseille Julia Cameron. « J’ai la tête vide aujourd’hui. Strictement rien à raconter. Ma vie est blanche comme ce papier. » Si je dois répéter que je n’ai rien à raconter, je le réécris, encore et encore. Et alors, la neige fond ; une pousse apparaît. Ainsi, une note se cachait derrière ce silence… Je décèle une tonalité que je m’empresse d’inscrire. Je fais paradoxalement l’expérience d’un vide qui a tout à dire, qui ressemble à un trop-plein et qui déborde. Le « rien à dire » m’ouvre à tous les possibles. C’est lorsque je ne vois pas quoi écrire qu’une vérité se fait jour car j’ai désencombré mon esprit de toutes les illusions qui la masquaient.
- En persistant à écrire trois pages, juste trois pages, je deviens le témoin d’un miracle quotidien. En effet, au bout d’une page et demie – deux tout au plus -, comme l’affirme Julia Cameron, une fenêtre s’ouvre et la voix que je considère comme étant celle de mon âme prend le relais. Alors, moi qui ne voulais pas faire de la poésie, je m’aperçois que j’écris poétiquement. Mais c’est une poésie qui est au contact de ma vie, de ma réalité ; c’est une poésie (e)/(a)ncrée ; c’est une poésie qui me révèle ce que je dois savoir pour avancer dans mon existence : « Tu cherches ton étoile dans le ciel, mais ne sais-tu pas qu’elle est en toi ? » J’en fais l’expérience chaque matin : en allant d’une marge à l’autre, de la page une à la page trois, je vais au-delà de moi-même, sur ce rivage où une femme authentique m’attend et vient à ma rencontre quand j’accoste… enfin.
Petit à petit, grâce à une pratique assidue, je m’aperçois que ces trois pages sont à mon écoute. Je m’apaise ; mes problèmes s’atténuent, puis s’effacent. Les situations les plus redoutables s’arrangent ; mes vœux se réalisent ; des biens se matérialisent. La page est un univers dans lequel Dieu se manifeste. Je suis convaincue qu’écrire ses pages du matin constitue une forme de prière.
Mais je vous entends m’objecter : « Je n’ai pas le temps de faire ces pages ! Je dois me réveiller tôt, faire lever les enfants, courir à la crèche, au travail ! »
Sachez que ce problème, je le rencontre aussi. Cependant, je trouve toujours le moyen d’écrire trois pages, juste trois pages. À côté de mon café dans le meilleur des cas, sous ma petite lampe de chevet allumée alors que l’aube est encore noire, dans le train, entre deux gares, dans la salle d’attente du laboratoire, sur la table d’un bistrot avant le grand examen… Je dois dire que ce sont les situations les plus incongrues, les plus inconfortables qui rendent ces pages criantes de vérité. Je vous en livre un exemple :
Pages écrites le 20 octobre 2021, dans le train, après avoir traversé une ville qui faisait vraiment grise mine à six heures :
« Rebelote le train. Je suis très loin des aubes romantiques des Miracle Mornings, pleines d’élan et de vie. À la place, c’est encore la nuit, la petite pluie agaçante et glaciale sur le manteau. Je vais arriver trempée. Nouvelle désillusion hier : J’ai travaillé avec X qui m’a demandé de payer ses exemplaires !!! C’est du vol… Je me fais toujours avoir de toute façon.«
Pendant une page et demie, je ronchonne jusqu’à ce qu’apparaisse cette phrase :
« Si je veux travailler en libérale, il faut que je sois libre au sujet de ma façon de travailler.«
Évidemment ! Je n’avais jamais fait le parallèle entre « libre » et « libérale » , moi qui me résignais, voire me soumettais à des situations inconfortables : « C’est ainsi ! Je ne peux rien y faire ! » Deux mots associés me donnaient la clé. Et le lendemain, émerge dans les mêmes circonstances du petit matin, une phrase plus positive :
« Après tout, c’est une chance, pendant mon trajet, d’assister au lever du jour !
Écrire tôt, c’est m’éclairer !«
Comment pratiquer ?
Vous pouvez utiliser un cahier format A5, relié ou à spirale. J’aime les cahiers de la marque Leuchtturm car le stylo glisse bien sur le papier.
Quant au stylo, privilégiez les stylos à bille légers. Si vous optez pour la plume, veillez à avoir suffisamment d’encre afin de ne pas être interrompu par un problème technique de changement de cartouche en plein flow.
Et c’est tout !
Voici quelques déclencheurs d’écriture pour remplir trois pages, juste trois pages, quand la vie vous presse :
S’informer sur sa météorologie intérieure :
- Aujourd’hui, je me sens…
- Quel temps fait-il chez moi ?
S’inviter dans sa demeure intérieure :
- J’entre en moi et…
- Dans mon cœur, je trouve…
Prendre de ses nouvelles en utilisant la deuxième personne du singulier pour favoriser le dialogue avec soi :
- Salut ! Comment vas-tu ?
- Ici, radio (votre prénom), quelles informations as-tu aujourd’hui ?
Parler de soi avec distance en utilisant la troisième personne du singulier ; on devient, ainsi, le témoin désengagé émotionnellement de sa propre histoire :
- Ici et maintenant, elle/il
- Elle/il a reçu comme nouvelles à bord…
Je vous souhaite une bonne écriture ! J’évoquerai dans un prochain billet l’utilisation de toutes les pages du matin remplies au fil de sa vie…
Et, pour aller plus loin, lisez :
Julia Cameron, Libérez votre créativité ; La bible des artistes ; Collection Aventure secrète.
Vous pouvez également me livrer votre expérience de votre propre pratique des pages du matin en commentaires, ce qui fera de ce billet un atelier d’écriture en ligne.
Géraldine Andrée Muller
Écrivaine privée-biographe familiale-écritothérapeute
Pour connaître mon travail et mon activité, rendez-vous sur mon site
L’Encre au fil des jours