Une réunion d’équipe est un savoureux laboratoire d’observation pour un oeil averti. En effet, de nombreux signes non verbaux sont discernables et fort révélateurs de l’état d’esprit réel des participants.
INTRODUCTION
Mimiques, gestes, postures, axes de tête, démangeaisons, tant d’indices qui permettent de mieux comprendre le fonctionnement de l’esprit. L’analyse de cette communication non verbale porte un nom : la synergologie, une discipline enseignée en Europe, au Japon ainsi qu’au Québec et qui cherche à mieux comprendre l’esprit à travers le langage du corps.
Les émotions et les états corporels qui les accompagnent sont universels. Par exemple, la colère pure provoque une augmentation du rythme cardiaque et du rythme respiratoire, une rétractation des pupilles, une augmentation de la température corporelle au niveau du torse, de la tête et des poings. Que vous veniez du Sénégal, de la Chine, du Brésil ou du Québec, les mêmes réactions physiologiques seront observables en présence d’une émotion pure.
Ce qui n’est pas universel, par contre, ce sont nos réactions psychologiques face aux différentes situations. En effet, il y a une foule de mécanismes de défense et de patterns de comportement. Il ne s’agit alors pas de synergologie, mais bien de psychologie. Il importe de ne pas les confondre. Bien souvent, nous ressentons des émotions entremêlées, ce qui complexifie les messages non verbaux que nous envoyons de même que leur compréhension. L’objectif d’une meilleure lecture du non-verbal est de mieux saisir l’état réel de l’individu. Il s’agit donc d’établir une communication plus authentique.
N’allez pas croire que vous pouvez contrôler votre corps entièrement, ce ne serait qu’une illusion. Quand le cerveau gère des pulsions, des souvenirs, des réactions, des pensées, des réflexes, des envies, il déclenche la production de certaines hormones. Il modifie le rythme cardiaque et la respiration. Il fait rougir ou blanchir la peau. Il provoque une déglutition prononcée, des démangeaisons, des spasmes musculaires. Votre corps réagit même s’il n’y a pas, au sens propre, une réflexion consciente.
Plusieurs études[1] ont démontré que, lorsque notre cerveau prend une décision, il met 4 à 10 secondes avant d’amener celle-ci au niveau de la conscience. Une grande partie du travail cérébral s’opère de façon inconsciente. Et, durant ce délai, notre corps, lui, a donné de nombreux indices à un observateur aguerri, des indices dont nous ne réalisons même pas l’existence. Des neurobiologistes ont démontré, images IRM à l’appui, « que nos pensées peuvent être censurées ou détournées à notre insu même » par notre inconscient[2]. Ainsi, notre cerveau détermine ce qu’il rend conscient et ce qu’il conserve dans ses méandres. Ajoutons que plusieurs de vos muscles réagissent de façon involontaire, c’est-à-dire que vous ne pouvez les mouvoir selon votre volonté. Il faut ressentir l’émotion réelle pour provoquer la contraction. Et vous ne pouvez pas les empêcher de se contracter non plus.
I– FONCTIONNEMENT DU CERVEAU
Rappelons-nous que le cerveau est constitué de trois couches : le cerveau reptilien qui gère les pulsions, le cerveau limbique qui gère les émotions et le cerveau cortical qui gère le raisonnement. L’hémisphère gauche pilote la partie droite du corps. Cet hémisphère est la zone de la logique, du langage, de l’organisation de la pensée. Inversement, l’hémisphère droit pilote la partie gauche du corps. C’est la zone de la créativité, de la plus grande émotivité, des liens affectifs et cognitifs, donc des concepts.
II– OBSERVATION
L’observation du non-verbal peut sembler facile, mais en situation réelle, il en est tout autrement parce que l’œil n’est pas habitué à discerner les items et les gens ne savent pas quoi regarder. Débutons donc avec des éléments de base : les axes de tête et la position sur la chaise. Au cours des prochaines semaines, notez votre position assise lors des réunions ainsi que celle de vos collègues. Votre corps était-il penché vers l’avant, vers le côté ou vers l’arrière ? Vos jambes sont-elles croisées et, si oui, vers votre interlocuteur de gauche, de droite ou vers la porte ? Comment sont placées vos mains : appuyées sur les bras du fauteuil, les doigts entrelacés, les poings fermés ?
Ne faites qu’observer, sans chercher d’interprétation. Il n’y a pas suffisamment d’éléments pour que votre analyse soit fiable. L’objectif est seulement de vous faire prendre conscience des changements de votre corps et à quel moment vous changez de position. C’est ça qui est intéressant.
Position assise
D’apparence anodine, la position assise est une clé synergologique très utile. En effet, la façon de se tenir sur une chaise lors d’une conversation traduit bien l’attitude intérieure d’un individu.
Tout d’abord, il y a trois règles de lecture[3]: où se situe la zone de l’ego ? Quelle épaule s’avance ou recule ? Avec quel œil la personne regarde-t-elle ? La zone de l’ego se situe au niveau de la poitrine. Elle permet de voir la volonté d’interaction avec l’autre. Globalement, un ego qui s’avance traduit une volonté d’interagir avec l’autre alors que, s’il glisse vers l’arrière, cela signifie le besoin de se retirer de l’échange, de la situation, de la relation.
Lorsque le corps s’incline vers l’avant, observez quelle épaule s’avance. L’épaule gauche revêt un aspect d’échange agréable, de communication fluide, voire de séduction. La personne est en relation avec vous, en lien, en situation de partage. Si c’est l’épaule droite, cela évoque davantage un besoin de convaincre, de vendre, presque d’imposer un point de vue.
À l’inverse, lorsque le corps se retire, il faut observer quelle épaule s’éloigne en premier et la même logique s’applique : si c’est l’épaule gauche, la personne retraite dans sa relation et si c’est la droite, la personne retire ses arguments, ses idées, son discours.
Une position de côté, donc appuyée sur l’un des bras de chaise, indique davantage d’ambiguïté. Elle peut indiquer un stress de performance (à droite), de la timidité (à gauche) ainsi qu’un besoin de se rapprocher ou de s’éloigner de la personne près d’elle. Au centre, sans appui sur le dossier, elle indiquerait un certain malaise.
La position assise s’analyse différemment si les gens sont face à face ou s’ils sont côte à côte.
Axes de tête
Parallèlement à la position de chaise, examinons les trois axes de têtes.
Axe latéral
Si les participants ont une tête totalement droite ou très légèrement inclinée vers l’épaule gauche, cela implique de la douceur, alors qu’à droite, il est plutôt question de vigilance ou de rigidité.
Axe rotatif
Avec quel œil vous regarde-t-il davantage ? C’est-à-dire quel côté du visage est davantage orienté vers vous? Pour le savoir, demandez-vous quelle oreille est la plus visible pour vous. S’il s’agit de la droite, alors le participant vous parle de quelque chose de très rationnel ou il contrôle son discours, ou il souhaite vous convaincre. Si l’œil gauche est avancé, alors il demeure dans le lien.
Axe sagittal
Le menton est-il légèrement relevé ? Cela peut être un signe d’un sentiment de supériorité, mais cela peut aussi témoigner de la colère, de la peur, de la surprise. Un menton bas peut aussi indiquer la colère intense ou le sentiment d’infériorité.
Si, durant la majeure partie de la réunion, la tête demeure immobile, osez demander à la personne si elle a mal au cou. Parfois, le simple fait de poser la question fait prendre conscience de la rigidité liée au stress de performance. Sachez qu’une étude a mis en lumière le fait que lorsque la tête va vers l’interlocuteur ou le regard s’oriente vers les yeux de l’autre, les propos sont plus doux et plus sincères[4].
CONCLUSION
Évidemment, comme le non-verbal réagit à tout ce qui traverse l’esprit, y compris les pensées très furtives, ça fait énormément d’éléments à observer et à analyser, une vingtaine par image en moyenne. Comme toute expertise, ça demande du temps, de la pratique, des efforts et beaucoup de détermination pour se développer. Il ne faut donc pas se décourager si, au début, on ne parvient pas à regarder et à enregistrer simultanément les items. L’important est d’abord de commencer à porter attention. Et votre corps parle tout autant que celui de vos collègues !
* Mme Boyer, conseillère en ressources humaines chez ABC Solution Développement organisationnel, www.abcsolution.ca et www.annabelle-boyer.com
[1] P. HAGGARD, « Human volition: Towards a Neuroscience of Will », Nature Reviews Neuroscience, n° 9, 2008, p. 934-946 ; B. LIBET et autres, « Time of Conscious Intention to Act in Relation to Onset of Cerebral Activity», Brain, vol. 106, 1983, p. 623-642 ; C.S. SOON et autres, « Unconscious Determinants of Free Decisions in the Human Brain », Nature Neuroscience, n° 11, 2008, p. 543-545 ; K.D. VOHS et J.W. SCHOOLER, « The Value of Believing in Free Will: Encouraging a Belief in Determinism Increases Cheating », Psychological Science, n° 19, 2008 ; I. FRIED et autres, « Internally Generated Preactivation of Single Neurons in Human Medial Frontal Cortex Predicts Volition », Neuron, vol. 69, n° 3, 2011, p. 548-562.
[2] Joseph LEDOUX, Le cerveau des émotions, Paris, Éditions Odile Jacob, 2005, 384 p.
[3] Philippe TURCHET, Notes de cours de synergologie, 2008.
[4] Sigfried FREY et autres, « Analyse intégrée du comportement non verbal et verbal dans le domaine de la communication », dans J. COSNIER et A. BROSSARD, La communication non verbale, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1992, Neuchâtel, 244 p.