Écrit-on pour soi ou pour l’autre ?
Éternel dilemme.
On se sent si seul quand on écrit, avec le seul frottement du stylo sur le papier, si seul avec soi que l’on doute fort qu’un autre est sur le point d’apparaître au large de la page.
D’ailleurs, le passage de l’autre – ce promeneur sur nos propres traces – est bien improbable tellement il est lointain dans le temps et dans l’espace…
Comment cet autre peut-il, du reste, nous connaître, lui que l’on ne rencontrera sans doute jamais ?
Et pourtant, c’est parce que l’écriture est une traversée de la solitude qu’elle est véritablement un pari pascalien sur la foi.
Écris en t’abandonnant tout entier à ta solitude. Écris en confiant ce sentiment à cet inconnu au loin qui deviendra ton ami au-delà des époques et des distances :
« Voilà comment je me suis senti seul en longeant les vitrines illuminées de Noël. J’étais triste qu’il n’y ait que mes pas dans la neige. J’aurais vraiment aimé que Catherine marchât à mes côtés. Je lui avais laissé un message sur son répondeur, la veille, mais elle ne m’avait pas rappelé… »
« Voilà comment je me suis senti seul en conduisant sur cette route marocaine… Les ombres du crépuscule s’allongeaient devant moi… Je pensais que je n’atteindrais jamais ma destination…«
« Voilà comme je me suis sentie seule quand j’ai emmené ma chatte Noisette chez le vétérinaire. Je l’entendais miauler dans mes bras sans que je puisse rien y faire... »
Ne cache pas ta solitude dans des considérations générales dont ton lecteur n’aura que faire. Évoque au contraire comment elle a envahi ton regard, hanté tes oreilles ou collé à ta peau. Dis le craquement de sa neige jaune sous tes souliers, le ronronnement de son moteur, sa couleur mauve qui effaçait la ligne de démarcation entre la route et la terre, sa fourrure douce comme un adieu…
Et alors, il se produira un véritable miracle de foi. Ta page renverra comme un miroir à cet autre dont tu ignores toute l’existence – ton lecteur anonyme – sa solitude au cœur de laquelle il puisera ses mots :
« J’ai bien connu ce sentiment moi aussi… »
Lui aussi prendra un stylo pour écrire un poème, un début de nouvelle ou de roman sur un coin de table, quelque part en Israël ou en Angleterre :
« Voilà comment Paul s’est senti quand, au moment de franchir la porte A de l’aéroport, il n’a pas vu Claudine. Parmi tous ces visages, il n’y avait pas un regard familier. Les signes des mains qui s’agitaient en guise de reconnaissance n’étaient pas pour lui… Il s’est dit qu’il allait vivre trois mois dans une ville qui ne lui disait rien, une ville où il avait atterri pour une fille qui n’était même pas là pour l’accueillir… »
C’est ainsi que, quelque part, sur un point précis du globe, le frottement d’un stylo sur un papier répondra au bruit de ta page sous ton stylo à toi.
Tel est le miracle de l’écriture : faire correspondre deux solitudes ; faire converser deux cœurs sans que l’un et l’autre n’en sachent rien ; créer une complicité d’autant plus subtile qu’elle repose sur le frêle fil de l’encre tendu entre deux mains parfois distantes de centaines de siècles; retrouver l’Autre qui invite avec sa plume à partir plus loin en soi :
« Lui aussi a vécu la même chose que moi. S’il en parle avec une telle intimité, une telle simplicité, je peux le faire, moi aussi… »
L’écriture pratiquée avec une semblable sincérité permet de transformer la solitude en une preuve de foi qui consiste à continuer à écrire, à bien suivre ton chemin qui ne mène qu’à une seule destination :
d’autres comme toi,
c’est-à-dire
tout le monde.
Géraldine Andrée Muller
Écrivain privé-biographe familiale-écritothérapeute
Pour découvrir tout mon travail d’écriture biographique, poétique et thérapeutique, rendez-vous sur mon site : L’Encre au fil des jours