« Le cordon du store se balance sous le souffle du vent. J’entends au loin le pépiement d’un oiseau mais, tout près de moi, le silence amplifie le crépitement de la pointe de mon stylo sur la page. Écrire, c’est me mettre à mon écoute. La température de l’air est douce sur ma peau. Je sens que la main de la lumière entoure mon épaule. Et la gorgée du thé à la cannelle me remplit. Cet espace en moi accueille tout ce qui vient et tout ce qui est. »
Je suis heureuse d’écrire ces lignes aujourd’hui, dans mon fauteuil, le cahier sur mes genoux.
« Je serai heureuse quand j’aurai déménagé… quand j’aurai changé de poste… quand j’aurai publié mon premier livre… »
Je remettais toujours le bonheur à plus tard. Le bonheur brillait comme un point lointain à l’horizon. Ce que j’avais n’était pas suffisant. Ce que j’étais ne suffisait pas. Et si, par chance, j’atteignais mon objectif, je prenais conscience que le bonheur se faisait encore désirer, qu’il était remis à un autre Quand.
Je faisais du bonheur une quête impossible. Je cherchais le bonheur alors que je l’avais déjà trouvé. Je souhaitais que le bonheur me regarde alors qu’il attendait, lui, que je le regarde. Je voulais que le bonheur soit éternellement présent alors que c’était à moi d’être présente pour le bonheur. Tandis que je priais le ciel pour obtenir le bonheur, le bonheur me priait de le reconnaître.
Le bonheur n’est pas dans une requête. Le bonheur est dans le regard. Le bonheur est le regard. Il est ces lunettes dont nous pensons être dépossédés, bien que nous les portions. Tout désespérés que nous sommes de les chercher, nous ne nous rendons pas compte que nous les avons devant les yeux et que si nous prêtions plus attention, nous verrions que notre perception s’est transformée, que nous possédons le pouvoir de déceler notre vérité, singulière pour chacun d’entre nous.
En mettant en pratique les outils de la programmation neurolinguistique dans mon journal intime et en découvrant la richesse de mes différents canaux sensoriels, je prends conscience que le bonheur, c’est :
- avoir une journée disponible devant moi comme une vaste plage où je poserai mes pas ;
- remarquer les petits détails d’une belle matinée ; telle cette fourmi qui se promène entre deux brindilles dorées ;
- entendre tomber les premières gouttes de pluie sur la grille du jardin ;
- sentir le frais manteau de l’ombre de l’érable qui recouvre mes épaules ;
- croquer une amande verte tandis que j’épluche mes courgettes ;
- tourner la page de mon livre et voir que le chapitre se poursuit ;
- entrer dans le tableau Marine qui me contemple comme je le contemple du haut de ma bibliothèque
- et séjourner dans le bleu murmure de son port.
« Je n’ai pas à être parfaite pour avoir le droit d’être heureuse. Je n’ai qu’à exister.
Le bonheur est un droit absolu de naissance.
Le bonheur dépend de mes perceptions et de mes choix.
Je choisis d’être heureuse.
Je choisis de regarder le ciel plutôt que les pierres.
Je choisis de regarder l’oiseau sur le toit plutôt que l’ordure sur le trottoir.
Je choisis de regarder le paysage qui défile devant la vitre du train plutôt que la rangée de sièges.
Je choisis de méditer, de faire remonter mes visions intérieures plutôt que de cliquer sur les images des réseaux sociaux. »
Rousseau se lamentait dans ses Confessions sur le caractère éphémère du bonheur.
« Moments précieux et si regrettés ! ah ! recommencez pour moi votre aimable cours ; coulez plus lentement dans mon souvenir, s’il est possible, que vous ne fîtes réellement dans votre fugitive succession. »
Le bonheur rousseauiste ne peut se revivre que dans la mémoire. Seule l’écriture autobiographique est susceptible d’inverser le cours du temps.
Le bonheur est éphémère car il est ici et maintenant. Il est toujours changeant, toujours miroitant, comme l’eau qui passe. Il est cette maison familiale, puis ce chat gris dans le jardin… Et je m’éloigne de l’enfance… Ou l’enfance s’éloigne de moi… Je ne sais… Je grandis… Le bonheur est cette lumière qui souligne les boiseries et les meubles de mon appartement, ce texte que je suis fière de terminer, l’ultime contact de ma peau avec le papier du carnet achevé…
Le bonheur ne cesse de revenir sous une autre forme, une autre journée. Il est un sourire dessiné puis effacé, un visage dans le miroir.
Puisque je vis toujours aujourd’hui, le bonheur m’accompagne
d’Aujourd’hui en Aujourd’hui.
Je me suis souvent perdue à chercher le bonheur. Mais, comme me l’a dit un jour mon ami, la Vie ne me doit rien.
J’attendais de la Vie qu’elle me rende heureuse.
Et si c’était moi qui, en choisissant la beauté, la bonté, l’abondance de cet instant – et de cet instant seulement – rendais la Vie heureuse ?
Je le crois aujourd’hui.
Géraldine
L’Encre au fil des jours