Écris tes douleurs d’enfance

Écris tes douleurs d’enfance
J’ai exposé, dans un précédent billet, comment l’écriture te permettait de rejoindre joyeusement ton enfant intérieur. Pourtant, il est des enfances malheureuses. Il est des enfants traumatisés. Il y a, dans la mémoire de beaucoup d’entre nous, un enfant suçant son pouce, oublié dans un coin ; un enfant seul dans la cour ; un enfant errant de classe en classe ; un enfant dont le cœur bat à se rompre sous la couverture.

Le mot « enfant » vient du latin « infans » qui signifie « celui qui ne parle pas ».

Et comme l’enfant ne possède pas le pouvoir des mots, le traumatisme s’inscrit durablement et indiciblement en lui pour lui faire croire, une fois qu’il sera devenu adulte, que sa vie s’écrit comme un destin que rien, absolument rien, ne peut modifier. Souvent, le traumatisme s’est cristallisé sur une sensation bien vivace, intacte, conservée dans toute son acuité, même si de nombreuses années se sont écoulées.

Formuler cette sensation par l’écriture va permettre à ton enfant intérieur d’accéder enfin à sa liberté.

Je me souviens… La séance de dessin avec des crayons de couleur ne m’intéresse pas. Je suis obsédée par une autre couleur, le rose de mon chewing-gum Malabar dont je veux qu’il remplisse ma bouche afin que je puisse en percer le mystère par le goût. Aussi en mets-je un deuxième dans la bouche. Puis je m’amuse à faire des bulles. Le dos des autres élèves me cache. Je forme des bulles de plus en plus grosses jusqu’à ce que l’ultime bulle éclate et, dans une gigantesque pétarade, m’explose au visage. Des filaments de chewing-gum se sont accrochés à mes cils, à mes cheveux, à mes oreilles. Toute la classe s’est retournée et son rire déferle sur moi comme une vague au sel brûlant. Quant à l’institutrice, rouge de colère, elle me prend par le bras, me fait traverser des dédales de couloirs et me montre dans cet état à tous les élèves de l’école. Derrière mes paupières collées, je perçois la porte de chaque salle de classe qui s’ouvre et les cymbales assourdissantes des moqueries. Il faudra plusieurs shampooings pour parvenir à démêler mes mèches blondes et les laver de tout ce rose sucré et gluant. Suite à cette humiliation publique, je me suis fait encore plus petite que je ne l’étais déjà et je me suis comportée de telle sorte à ce que plus rien ne m’explose à la figure – jamais -, surtout pas la moindre bulle de dispute ou de conflit. Rose sucré…Telle est donc la sensation sur laquelle s’est figée ma blessure d’humiliation. Vanessa Springora, dans son autobiographie Le Consentement – qui relate les abus sexuels dont elle a été victime au cours de sa préadolescence dans sa relation avec G., écrivain cinquantenaire renommé -, garde mémoire des détails précis du corps de G. : « Du lit, mon regard suit la ligne anguleuse de ses épaules, courbées sur la petite machine à écrire rescapée du studio que nous avons dû fuir. Son dos nu et parfaitement lisse. Ses muscles fins, sa taille étroite dans une serviette éponge. » Des phrases nominales, brèves condensent l’abus en quelques adjectifs précis. Et c’est cette concision qui libère, telle une clé, le traumatisme de l’indicible caractérisé par des détails que la jeune Vanessa ne parvenait pas alors à formuler, submergée par la violente complexité de ses émotions, lorsqu’elle était abusée dans le studio de l’écrivain. Pour d’autres, la résurgence fulgurante du trauma se caractérise par la métaphore du flash qui jaillit de l’appareil photo, comme dans Mon père, ma mère, Allah… et moi de Farah Kay : « Petit à petit, mes souvenirs sont revenus. Des flashs… Je suis entrée dans un monde inconnu, mon intérieur. Peu à peu, j’obtenais les codes d’ouverture de mon inconscient. Comme une sorte de recharge téléphonique avec un code pin. » Et toi, quelle couleur donnes-tu à ta douleur d’enfant ? Quel goût ? Quel flash ? « La couleur rouge de la grenadine glacée se mêle au goût âcre du sang » écrira cette jeune femme qui a subi une opération brutale des amygdales à l’âge de cinq ans sans que ses parents ne lui en parlent.

« Et si je ne me souviens de rien ? »

Il arrive, bien sûr, que le traumatisme ait été si profondément enfoui dans la chambre noire de la mémoire qu’aucun cliché ne t’y ramènera. Dans ce cas, il convient de dire le blanc, le silence. Lorsque j’accompagne des personnes dans l’écriture de leur biographie, je suis souvent confrontée au bouleversement de la psyché après un deuil, un bombardement, une blessure, une perte considérable : « Je ne me souviens pas combien de jours se sont écoulés après que l’obus a traversé le plafond de la gare. Je voudrais laisser du blanc dans la page pour évoquer le noir de toutes ces nuits passées dans la cave.  » « Il y a sans doute eu des cris, bien sûr. Mais tout ce que je puis décrire, c’est le contact de mon ours en peluche. C’est tout. La peluche et ses frisottis dans l’air humide. Que dire de plus ? » Ou alors, écrire comme Anny Duperey – seule face à la perte incommensurable de ses deux parents à l’âge de neuf ans et qu’elle relate dans son livre Le Voile noir :  » Puis on ne meurt pas, on se retourne pour regarder vers l’avant, vers ce qui arrive. Les choses se sont peut-être passées ainsi quand je quittai cette maison, ou peut-être pas. Je n’ai aucun souvenir du déménagement ni de la saison où il se fit. Mais la photo à elle seule raconte tous les départs. Je n’y revins effectivement jamais, mais je sais qu’elle a été détruite. »

Et si mon souvenir n’est pas exact ?

Sont fréquents les cas où l’inconscient enjolive le souvenir du trauma, le falsifie, le déplace dans un autre cadre, un autre espace-temps, un cliché inexact, ceci afin de préserver la structure psychique – véritable maison intérieure – de la victime qui, sans ce mensonge salvateur, serait précipitée dans la fragmentation irréversible de son Moi. Il en est ainsi des aveux de trahison, des révélations de secrets de famille effectués dans un endroit bruyant et peuplé – rue, bar, restaurant -, reconstitué fictivement pour désamorcer dans les stimuli extérieurs la violence du coup psychique réactivé par le souvenir. Puis, une fois, le temps passé, une autre mémoire prend la place – vraie, authentique, celle-là – car un travail intérieur a permis de faire reculer le danger psychique. On est, par exemple, davantage capable de supporter la perversité du secret de famille avoué lors d’un dîner de réveillon de Noël car la formulation du faux souvenir nous a familiarisés progressivement avec cette réalité, le temps que l’on s’y adapte : « J’ai toujours senti que j’étais un enfant non désiré, adopté, venu trop tôt… Ce souvenir en est désormais la preuve… » Écris tous les scénarios possibles sur tes bouleversements intimes – même et surtout s’ils se contredisent car ta vérité se fraiera un chemin parmi toutes ces histoires qui sont autant de facettes de toi.

Qui est cet enfant dans le miroir ?

Après avoir raconté dans mon journal l’épisode du chewing-gum, j’ai vu apparaître dans ma page devenue miroir le visage de la petite fille que j’étais, tout étoilé de bulles roses éclatées. Et l’incident qui m’avait paru si tragique à l’âge de cinq ans m’a révélé sa magie : je me voyais, non pas criblée, mais constellée de chewing-gum. Mieux encore : je suis parvenue à rire de ma mésaventure, non en me moquant de moi mais en faisant preuve d’indulgence envers moi-même et j’ai célébré mon caractère secrètement tapageur : -Dis donc, tu faisais tout pour ne pas t’ennuyer, quand l’école ne te plaisait pas ! J’ai adoré la fillette qui m’était ainsi revenue par le biais de mon regard, excentrique, pleine de vie, amoureuse des bulles – qu’elles éclatent ou pas. J’en ai fait ma compagnie. N’oublie pas. C’est l’enfant que tu as été – faible, méprisé, abandonné ou souffrant – qui te fait grandir. Alors, écoute les souvenirs qu’il te délivre et retranscris-les dès aujourd’hui. Si tu ne peux changer certains événements, lui peut t’aider à les percevoir autrement au fil du temps. C’est la meilleure façon d’avancer dans ta vie, avec lui à tes côtés – tous les deux enfin libres. Géraldine Andrée Muller Écrivain privé-biographe familiale-psychobiographe Pour connaître mon travail : lencreaufildesjours.com

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Publié dans Amour de soi, Compassion, Confiance en soi, Développement personnel, Écrire un livre, Écriture thérapeutique, Psychologie, Reconstruction émotionnelle, Résilience le

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À propos de l'auteur

Géraldine Andrée Muller

J'écris depuis l'enfance. Très tôt, j'ai découvert le pouvoir des mots qui peuvent soigner, guérir, être un baume pour l'âme. Je vous propose mon aide pour l'écriture de votre vie. Grâce à mon expérience en créativité, en écriture et en psychologie, je vous prête ma plume pour que vous soyez...

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