Les bleus de l’enfance sont faits de ces moments perdus indicibles, de ces incompréhensions malhabiles, de ces errances sans parole libre. Ce sont nos blessures d’enfance.
Les bleus de l’enfance déposent dans des âmes fragiles, le poids de fardeaux à porter qui restent invisibles jusqu’à ce moment où tout se dévoile, tout se révèle au hasard d’un fragment du temps qui s’arrête, pour éclairer les zones d’ombre qui se donnent pour être réparées.
Les bleus de l’enfance sont souvent physiques, mais surtout psychiques et verrouillent des histoires biographiques à double tour pour ne pas être dévoilées, pour ne pas avoir à assumer des actes ou des oublis de ce qu’on appelle l’irresponsabilité.
Derrière chaque regard d’un adulte, se cache souvent le cœur d’un petit enfant brimé, maltraité, dévalorisé, humilié. La mémoire telle une huître se referme sur ces plaies cachées pour taire ce qui paraît insupportable à dire, comme si on était coupable d’avoir été mal traité. C’est avec cette tempête intérieure que l’adulte se construit et pense pouvoir oublier ce qui l’empêche de respirer sereinement.
Le prisme de l’enfance est si réduit que les yeux du tout-petit ne voient que le visible et préfèrent ignorer tout ce qui le sensibilise, le fragilise, le terrorise. Ces mots qui touchent, ces caresses qui attouchent, ces coups qui pleuvent, ces réprimandes qui affligent, ces colères qui oppressent, ces jeux teintés d’obscurité…
La violence éducative marque de son empreinte sombre les souvenirs de tant de petits êtres innocents et freine la croissance de leurs possibles, en soufflant comme une tempête dévastatrice sur leurs espoirs et sur leurs rêves avortés.
Lorsqu’on se pose un instant au cœur de ses souvenirs d’enfance, on recherche parfois l’odeur de la fête foraine, le goût des pommes d’amour, la douceur d’une barbe à papa . Pourquoi a-t-on si souvent du mal à les retrouver au milieu de tout ce qu’on a oublié, jusqu’à cette impression d’ignorer l’insouciance liée à l’enfance ?
Pourquoi alors qu’on essaie de se rappeler de ces moments heureux où l’enfant apprend normalement à explorer la vie, pourquoi y-a-t-il cette impossibilité à se replonger dans cette période soi-disant heureuse et tant vantée par les parents comme s’ils n’avaient pas vécu la même réalité ?
A quel moment s’inventent-t-ils à eux-mêmes ce passé infructueux, ce temps nostalgique où ils préfèrent taire tout ce qui n’est pas à raconter ? Pourquoi l’album de famille ne révèle-t-il que des photos plaquées ? Pourquoi choisir de taire ce qui est plus proche de la vérité ?
Redonner du sens à ses souvenirs, c’est apprendre à se réparer !
L’enfance est souvent séparée de son contexte. Chacun romance son histoire de vie pour se dire heureux comme s’il était inconvenant d’avouer tous ces moments affligeants, pour choisir d’ignorer ce qui pèse sur le cœur!
Souvent quand on demande à un adulte de raconter son enfance, ses yeux se voilent de tristesse, sa voix se serre et son souffle devient plus court. C’est avec un petit air gêné qu’il s’excuse d’avoir oublié ou de ne pas avoir envie d’en parler…
Pourquoi a-t-on si peur de regarder dans le rétroviseur du passé ? A-t-on à ce point vécu des aventures insensées ? Des histoires innommables. ? Le doigt sur la bouche, pour ne pas en parler, comme pour dire chut… de ne rien révéler… !
Pourquoi a-t-on des difficultés à s’exprimer et à communiquer sur ce temps mélancolique ? Qu’est-ce qui empêche la parole de l’enfant de se libérer dans sa bouche d’adulte ? Qu’est-ce qui reste étouffé à l’intérieur de son corps qui devient comme une caisse de résonance pour amplifier toutes les émotions mal digérées jusqu’à faire entendre une profonde amertume!
Lorsqu’on prend la décision de se réapproprier chaque parcelle de sa vie, on apprend aussi à ouvrir les yeux sur toutes ces blessures mal cicatrisées. Ce n’est pas pour se plaindre ou pour reprocher mais seulement pour prendre conscience qu’il est absolument nécessaire d’éclairer la part d’ombre qui ne cesse de provoquer des remous et de perturber la progression d’une vie.
On doit à un moment donné avoir pour mission de décoller toutes les étiquettes dans lesquelles les parents enferment souvent les enfants pour expliquer ou pour excuser des comportements inappropriés à son égard, des peurs qui le bloquent encore émotionnellement aujourd’hui et qui l’empêchent de vivre librement en tant qu’adulte.
Lorsqu’on a été un enfant maltraité ou délaissé, la question qui se pose, c’est de savoir à quel moment les parents n’ont pas su créer un environnement rassurant et sécuritaire ?
Les parents ont une mission importante dans l’éducation de leurs enfants : savoir les protéger ou du moins leur expliquer ce qui n’est pas évident à leurs yeux. A quel moment manquent-ils à ce rôle, sciemment ou inconsciemment ?
Pourquoi remplacent-t-ils souvent par une réprimande, par une violence, par une colère ou par un coup, l’attention nécessaire pour dissoudre les craintes d’un enfant au lieu de le rassurer ou de le consoler…
Les bleus de l’enfance sont en lien avec tous les traumatismes subis, tous ces moments d’inquiétude qui ont remplacé un développement positif impossible. Tous ces épisodes d’une histoire souvent ratée encore obscure pour l’adulte qui préfère tout oublier !
A quel moment la parole vient-elle expliquer ce qui est encore si troublé, si opaque, si difficile à comprendre à l’âge adulte?
Les bleus de l’enfance portent en eux la maltraitance éducative qui s’exerce quand un enfant est différent, hypersensible, singulier …C’est cette violence qui s’acharne pour l’obliger à être autrement et qui l’enferme dans un schéma de vie qui ne correspond pas à son authenticité.
L’adulte qui transporte dans son histoire le cœur d’un enfant tourmenté, a du mal à se positionner dans son identité véritable, il est comme inconnu à lui-même, et semble jouer un rôle de personnage factice dans le film de sa vie. Il se débat dans des conflits intérieurs entre être lui-même en toute transparence ou correspondre à un modèle imposé par les autres !
Les bleus de l’enfance sont parfois difficiles à effacer tant la résonance de cette histoire non réglée continue à perturber l’équilibre recherché tout au long d’une destinée. Ce n’est pas le baume du temps qui passe, qui va réparer le bleu permanent tatoué sur l’âme !
Comment guérir définitivement ces blessures de l’enfance ?
En premier lieu, il ne faut pas avoir peur de les regarder en face sans se mentir à soi-même ou sans en avoir honte. Lorsqu’une blessure se révèle au fil de sa vie,on doit se donner le temps de la compréhension de son histoire, en accueillant toutes les émotions qui y sont associées.
On garde en mémoire des bribes des illusions perdues, des miettes des envies ralenties par le poids de ce qui n’est pas guéri. Un soupçon d’amour de soi vient réconforter le cœur de cet enfant intérieur qui s’autorise alors à parler librement de ce qui le fait encore souffrir.
Quand le voile se lève sur des absences de sens, la lumière projette la vérité sur le rideau jusqu’alors tiré sur l’esprit d’enfant apeuré. On peut capturer l’essence des émotions enfouies en les laissant se révéler sur la scène des introspections qui amènent l’adulte à se réconcilier avec lui-même!
Défile alors sans scrupule et sans gêne, tout ce qui était caché dans le coffre-fort de ses sentiments alourdis par l’interdiction de laisser s’exprimer les non-dits qui sont en fait, les clés véritables de l’histoire de vie de chaque individu, quand les baillons sont arrachés et les masques déchirés !
En second lieu, prendre le temps de faire la paix avec soi-même, en se donnant l’autorisation d’admettre les failles d’une éducation subie, c’est se permettre de recommencer à croître dans son développement personnel sans désobéir au diktat de l’éducation parentale.
On aime ses parents mais on sème aussi pour soi, sur son parcours, des graines d’espoirs pour réparer jusqu’à toute une génération réprimée et enfermée dans des schémas ancestraux qui ne cessent de se rejouer quand on préfère les ignorer.
La répétition des mêmes situations difficiles est un excellent indice de ce qui demande à être nettoyé pour faire de la place à une construction plus saine et plus sereine de son projet de vie.
Quand la résilience s’installe pour permettre d’accepter ce qui a créé tant de souffrances, la guérison est possible pour extraire la force intérieure qui sera le pilier de l’épanouissement d’un être!
En dernier lieu, quand le poids des blessures de l’enfance arrête de peser, alors l’adulte redevient aussi léger que l’innocence qu’on lui a volée par tant de négligences ou d’indifférences! Ses ailes se remettent à se déployer pour reprendre son envol vers sa croissance personnelle interrompue, comme si le temps suspendait son cours pour lui permettre de combler tous les manques qui l’avaient figé dans une version fabriquée de lui-même, à l’opposé de sa vraie personnalité .
Parfois, ce n’est que très tard qu’une personne se dévoile dans ce qu’on ne connaît pas encore d’elle, comme si durant de nombreuses années, elle n’avait pas su se délivrer de ce qui la bloquait , comme prisonnière d’elle-même! Il n’y a plus de conflit, plus de mal à dire, plus de pleurs, plus de mensonges, l’horizon s’éclaircit et laisse présager d’un avenir meilleur où l’amour de soi prend le relais pour remplir chaque petit interstice à présent transmuté, alors l’enfant intérieur et l’adulte fusionnent pour former un merveilleux duo plus harmonieux au cœur de leur histoire de vie et de nouveaux choix deviennent possibles !
Quand les bleus de l’âme s’estompent, les roses du cœur fleurissent et rendent notre existence allégée, parfumée aux senteurs de la liberté retrouvée.
Maryse Ligdamis de mesmotsdevie.fr