Le temps est maussade, le ciel chagrin. Du matin au soir, les larmes du ciel aiguillonnent l’enfermement, la mauvaise humeur. De retour du travail il n’y a qu’à tourner en rond dans la maison trop sombre et astiquée à souhait depuis les deux derniers mois « d’été ». J’étouffe, moi qui attendais la belle saison, il me faut de l’espace, briser cette boule d’oppression, avant que la « ta » d’hiver ne revienne.
Je regarde ma moto plaquée à grands frais et qui ne fait qu’accumuler les toiles d’araignée. Sortir? Mais je vais me salir, mes cheveux trop longs à coiffer, aplatit? Et pourtant… si j’entre en moi, que j’interroge mon maître intérieur, je l’entends me chuchoter : ne crains pas de te salir, ose te mouiller, marche sous la pluie. Elle t’apportera plénitude, bonheur, liberté. Ce liquide précieux venu tout droit d’en haut est un don du ciel; il nettoie et purifie l’âme, fertilise la Terre Mère. La pluie est l’essence de l’éclosion de tout ce qui est en transformation et qui sera achevé par le soleil. Aussi cet élément vital, te propose le lâcher-prise. Tu enseignes de cesser la lutte contre sa colère, sa jalousie, sa violence, son envie, etc., et tu essaies de tout contrôler? Marcher sous la pluie contribue à la libération, au nettoyage psychologique. Échauffe ton corps sous l’effet de l’action et élimine les toxines. La pluie achèvera de façon bénéfique ce travail lié à ta recherche d’équilibre par son mécanisme purificateur…
Avec courage, je cherchai mes vêtements adaptés, me chaussai de façon confortable, et ouvrit la porte. Humm… je devrai me recoiffer après une douche réparatrice, des vêtements secs…
Je suis donc partie marcher sous la pluie, sans parapluie. Au départ, c’est un peu particulier. Le réflexe de se mettre à l’abri est ancré. En posant mes pas dans les flaques, je réalisai le silence de la rue. Oui, ce faisant, je me démarquais de ce conformisme qui suggère de ne pas affronter les précipitations. Le chemin était à moi seule; les rares passants accéléraient vivement vers un intérieur sec. D’un pas ferme, j’écoutai, je ressentais différemment comme si j’explorais du nouveau. La boue qui amplifie la succion de mes semelles mêlée aux goûtes qui tombent des feuilles du boisé que je côtoie. Les oiseaux s’en donnent à cœur joie dans les mares. Je suis là tête nue, puisque capuche et parapluie sont autant de barrières au plaisir de la pluie qui coule, du murmure qui monte.
Oui, marcher sous la pluie c’est se donner à une nature hostile, accepter ses assauts, sentir sa puissance, risquer sa santé puisque malgré la chaleur humide, le vent est frisquet quand on est détrempé. J’avance, je dégouline, mais je suis bien, de mieux en mieux, en liaison directe avec les éléments, en symbiose avec une nature qui refait ses réserves. Le sol est gorgé, l’eau ne parvient plus à pénétrer. Je patauge, éclaboussée, sale. Qu’importe. Chaque pas s’incruste sur mon pantalon, décorée de l’ordre du marcheur mouillé. La liberté a un prix, celui d’un lavomatic. Le bonheur de celui qui se moque de la pluie qui gifle le visage est sans égal. Trempée comme une soupe, mes vêtements lourds, moins souples, je me sens coincée dans le tissu qui enserre chaque partie de moi, me donnant une impression de nudité! Mes chaussures sont devenues des bateaux…
Cependant, je suis partie prenante de cette eau qui tombe et mes résistances se sont évanouies.
Au bout d’un certain temps, j’ai finalement oublié que j’étais mouillée et mon attention s’est portée sur ce qui se passait autour. J’ai remarqué que les oiseaux n’avaient pas cessé de chanter. Ce n’est donc pas si terrible que ça, la pluie. Le bruit qu’elle fait en touchant le sol ressemble au vide; un bruit paisible. Je me suis retrouvée loin, très loin dans mes pensées alors que je m’étais arrêtée sous un énorme chêne et yeux fermés, je sentis fusionnée dans son aura. Lavant mes préoccupations, vidant mon esprit des vicissitudes qui l’encombre m’enserrant de son énergie heureuse de ma présence.
Marcher sous la pluie pour communier avec cette nature qu’on ne découvre qu’à l’allure du pas qui prend le temps de mettre un pied devant l’autre par tous les temps, retrouvant la naïveté de l’enfant qui découvre la joie de vivre… Quand un enfant joue dehors et qu’il commence à pleuvoir, généralement ça ne l’empêche pas de continuer ses jeux, jusqu’à ce qu’un parent lui crie « Rentre dans la maison, il pleut! » ou « ne reste pas dehors, tu vas attraper un rhume! » Et on finit par intégrer ces réflexes de résistances et de frustration face à ce qui est.
Aujourd’hui, je suis heureuse de marcher sous la pluie et si mes cheveux à recoiffer m’empêchent de savourer les petits bonheurs qui se présentent sous les gouttelettes régénératrices, je trouverai une occasion pour en faire don au prochain défi « Têtes rasées »!
– Myriam Keyzer
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