Ces quelques lignes n’ont pas pour but de désigner « le bon » et « le mauvais » parent dans le couple. Mais bien d’attirer leur attention et celle de la famille sur les souffrances que la violence de l’emprise provoque chez l’enfant.
À l’heure où notre voisin français légifère sur la violence faite aux enfants, les violences à « bas bruit » sont encore mal connues, l’emprise en est une !
Qu’est-ce que l’emprise dans le couple ?
Nous parlons d’emprise lorsque l’un des partenaires est assujetti à l’autre dans le couple. Lorsque la relation de dépendance affective et relationnelle est asymétrique (si la littérature développe beaucoup le thème de « la mère toxique », dans mes consultations se sont surtout les enfants de père toxique que j’aide à se construire. Eh oui, vous l’aurez compris, l’emprise se joue au féminin comme au masculin).
Dans la relation d’emprise, la violence psychologique et physique a pour objectif de dénigrer, dévaloriser, blesser en vue d’installer un climat de terreur, de soumission et d’assujettissement.
La domination vise à annihiler toute volonté, à dénier tout besoin chez le conjoint soumis. Celui-ci finit par perdre toute confiance en ses ressources, à accepter toute la culpabilité de ce qui ne va pas dans le couple, ce qui aggrave encore sa dépendance au partenaire violent.
Cette domination permanente aura un impact sur la capacité parentale du parent soumis.
En effet, ce parent se perçoit comme « jamais à la hauteur » de ce que l’on attend de lui, il a le sentiment de toujours « faire mal », il n’a plus de liberté de penser, il n’existe plus ! Ce parent va se déprimer et perdre confiance dans ses aptitudes parentales, ce parent se rendra ainsi indisponible aux besoins de son enfant, tant il est englué, embourbé par l’emprise de son conjoint.
Les conséquences sur l’enfant
La violence psychologique et physique déployée pour maintenir l’emprise laisse peu de place à l’enfant. Le parent pervers narcissique préoccupé par son propre égocentrisme voit l’enfant comme un concurrent à la satisfaction de ses besoins. L’enfant n’aura pas le droit à une existence propre et ses besoins seront déniés. L’enfant comme le conjoint sont ses objets.
L’enfant pourra tout à la fois être valorisé, s’il est brillant et correspond à l’enfant idéal, et réceptacle de toutes les frustrations s’il ne répond pas aux souhaits, aux attentes.
L’enfant est un moyen supplémentaire de renforcer l’emprise. Il sera pris à témoin et aussi victime des humiliations, des dévalorisations, du dénigrement, des moqueries et des critiques. Dans de nombreux cas, la violence s’exercera sciemment en sa présence pour lui indiquer qui détient le pouvoir.
Le parent sous emprise, souvent protecteur, renforcera malgré lui l’incompréhension de l’enfant en couvrant, en justifiant les comportements violents. Il accentuera le trouble chez l’enfant en déniant la réalité, les ressentis. Dans certains cas, le parent sous emprise en vient lui aussi à maltraiter l’enfant dans la continuation du parent pervers narcissique.
Pour ne pas mettre en doute l’amour de ses parents, l’enfant en arrivera à la conclusion erronée que c’est lui qui est mauvais, qu’il n’est rien et porte la culpabilité et la honte.
Les violences directes et indirectes subies par ces enfants détruiront la confiance qu’ils ont en eux et empêcheront la construction d’une « estime de soi » solide.
Pour construire son « estime de soi », l’enfant a besoin de sécurité physique, émotionnelle et mentale. Il ne trouvera aucune d’entre elles dans une famille où règne l’emprise. Il est confronté à la violence physique et verbale, ce qui lui donne la sensation de vivre sur le « qui-vive » et en hypervigilance par rapport à l’humeur du parent violent. Comme le parent pervers narcissique ne peut pas comprendre les émotions de son enfant, elles seront systématiquement niées. L’enfant ne pourra pas avoir de liberté de penser puisque son parent ne supporte pas la remise en question, si l’enfant ne pense pas « comme lui, il est contre lui ».
Comme l’enfant est « la chose » du parent pervers narcissique, il ne peut pas développer l’individualité nécessaire à la construction de son identité, sans risquer d’être rejeté, critiqué, jugé, méprisé. Pour être aimé, il doit correspondre aux attentes. Ces enfants ne font pas de choix et ils dénient leurs besoins.
L’enfant dans sa quête de construction ne rencontrera pas le sentiment d’appartenance, puisque le parent sous emprise est dénigré, comme la famille, les amis de celui-ci. À l’adolescence, ce sont les amitiés qui sont calomniées, attaquées, critiquées et l’enfant est privé d’appartenance et isolé.
L’enfant ne pourra pas compter sur le sentiment de réussite pour se construire puisque ses réussites, le parent pervers narcissique se les attribuera et qu’il rendra l’enfant responsable des échecs.
L’enfant dans ce climat de violence et d’emprise ne peut pas se projeter dans l’avenir et endosse des responsabilités qui ne sont pas les siennes, il est notamment responsable du « bien-être » du parent pervers narcissique. Et le parent dominant lui impose un avenir qu’il ne choisit pas.
La violence influencera le rapport que l’enfant aura avec chacun de ses parents.
Certains prennent parti pour celui qu’ils ressentent comme victime et d’autres s’identifient au parent qu’ils perçoivent comme le plus fort, ce qui leur permet de se sentir plus sécurisé à condition d’être conforme aux souhaits du parent.
« Quant aux filles, certaines se rapprochent du père dans un mouvement œdipien qui leur permet de se distancier de la mère dont elles ne supportent pas la position de victime. » *(1)
Aux conséquences sur la construction de leur identité, il faut ajouter des troubles de la croissance résultant d’un déficit en sommeil lent profond*(2), des troubles du comportement : de l’enfant qui se colle en quête de contacts physiques à tous les adultes qu’il rencontre, à l’enfant agressif vis-à-vis de l’extérieur et de lui-même.
Les parents pervers narcissiques ne perçoivent pas le mal qu’ils font à leurs enfants, à leurs victimes et plus l’enfant est jeune, plus il est manipulable.
Que peuvent faire les membres de la famille ?
L’entourage est souvent médusé, pétrifié devant cette violence et ne sait pas comment y réagir. Le parent manipulateur pervers narcissique justifiera ses actes par « c’est pour son bien », « Je ne serais pas obligé de le corriger, s’il obéissait » et retournera une remarque culpabilisante et cinglante à celui qui s’interpose.
Les grands-parents, les tantes, les oncles ne sont pas impuissants face aux carences affectives et à la violence subie.
Ils peuvent reconnaître et nommer la violence faite à l’enfant. Ils peuvent apporter de l’affection par leur présence gratifiante et des attitudes de soutien.
Il leur reviendra aussi de développer l’esprit critique de l’enfant, par des questions pour qu’il puisse avoir confiance en son jugement et se confronter à la réalité.
Ils peuvent renforcer les prédispositions à l’optimisme de l’enfant, le soutenir intellectuellement et affectivement.
Ils peuvent mettre l’enfant en projet dans des réalisations qui lui donnent de l’énergie : une visite, un bricolage et surtout lui permettre d’envisager un futur qui soit le sien.
Ils peuvent déculpabiliser l’enfant en rétablissant la vérité, sans dénigrer les parents.
Même si cette idée fait souvent peur, ils peuvent se positionner face aux parents violents en défenseurs de l’enfant.
Ils ont aussi le droit et le devoir de demander de l’aide auprès des services d’aide et de protection de la jeunesse.
Le silence profite toujours au parent violent, jamais à l’enfant !
*(1) La violence conjugale frappe les enfants, Christine Frish-Desmarez, Temps d’arrêt 88, Yapaka.be, Fédération Wallonie-Bruxelles, 2007
*(2) Danielle Rapoport, Anne Rouergue-Schlumberger, Blanche-Neige, les sept nains et …autres maltraitances, Belin, 2003
Cette chronique a était écrite pour lalibre.be en 2017