Lorsque la maladie s’installe, le partenaire de vie de la personne touchée va tout naturellement en prendre soin. Cependant, son degré d’implication peut le faire basculer du dévouement au sacrifice. Comment éviter alors que cet acte d’amour, de bienveillance, ne conduise à l’oubli de soi ?
Le sacrifice face à la maladie de l’autre est un cri de détresse silencieux qui doit être décelé et alerter les proches. Le soutien de ces derniers est une nécessité afin de décharger et soulager la personne qui se dévoue et finit par se placer uniquement au service de l’autre.
La maladie a bien souvent une issue fatale et accompagner le malade en faisant preuve d’altruisme, de bonté et d’empathie est une belle action, naturelle et louable, mais que l’accompagnant ne peut supporter seul au risque d’être entrainé vers le fond.
« Chaque être est doué d’un don qui lui permet d’être un soutien, une consolation ou une lumière pour les autres ; mais aussi d’une faille, d’une fêlure, d’une fragilité, qui réclame l’aide d’autrui. »
– Frédéric Lenoir
Telle une âme intégrant un corps, mettons-nous dans la peau de la personne confrontée à une telle situation au travers des lignes qui vont suivre. Laissons-nous envahir et transporter par l’émotion vécue.
Elle avançait péniblement, comme si ses jambes pouvaient à tout moment la lâcher. Épuisée par ces journées à s’occuper de cet homme qui était devenu une partie d’elle-même.
Il n’avait plus que la peau sur les os et chaque jour passé était une victoire sur la mort. Cependant, alors que tous étaient focalisés sur la maladie, personne ne semblait remarquer cet épuisement physique et émotionnel qui avaient progressivement envahi cette femme dévouée.
Elle avait travaillé toute sa vie et quelques jours avant cette libération professionnelle tant attendue, la triste nouvelle était tombée. La maladie serait désormais le quotidien de ces deux êtres.
Elle avait fait preuve d’une immense bienveillance pendant de nombreuses années, alternant les rôles d’épouse, d’infirmière ou d’aide-soignante, prenant sur elle pour réaliser des gestes incombant habituellement à des spécialistes.
Livide, épuisée, à bout de forces, elle était devenue le fantôme de cet homme dont elle partageait la vie depuis d’innombrables années, et n’était aujourd’hui que l’ombre de celui-ci.
Les journées, les mois, les années s’étaient succédés, les plongeant dans une routine quotidienne de soins. Passant son temps à se consacrer à lui, elle avait fini par s’oublier.
Elle répondait aux questions des proches qui s’inquiétaient de l’état de santé de son époux, et avait fini par perdre son identité, sombrant dans l’anonymat.
« Lorsque la maladie entre dans un foyer, elle ne s’empare pas seulement d’un corps mais tisse entre les cœurs une sombre toile où s’ensevelit l’espoir. »
– Muriel Barbery
Elle avançait péniblement, se levant à chaque appel pour satisfaire les demandes et les besoins de cet homme qu’elle avait aimé pendant tant d’années.
Les déplacements chez le coiffeur avaient cessé, laissant les cheveux blancs envahir sa chevelure. Le maquillage avait été abandonné. Et les tenues vestimentaires n’avaient plus d’importance.
Elle avait tenté de s’échapper quelques heures de temps à autre pour reprendre son souffle mais les critiques l’avaient conduite à la résignation.
Effacée, passant inaperçue, elle n’osait exprimer son épuisement à ses proches et demeurait enfermée dans cette prison, par amour mais surtout par obligation.
Lasse, elle avait progressivement oublié ses repas, finissant par ne plus s’alimenter.
Très amaigrie, la maladie qui habitait cet homme auquel elle témoignait toute sa bienveillance, semblait, jour après jour, la gagner elle aussi, tel un fruit contaminant une corbeille.
Chaque nuit, des larmes silencieuses se dissipaient dans l’obscurité de sa chambre.
Elle avait acquiescé au refus catégorique de son époux d’être hospitalisé, cette décision la poussant elle-même vers le précipice qui se dévoilait à ses pieds.
Prête à tomber à genoux, vidée de la moindre force, ses pensées commençaient à s’emmêler.
Elle était perdue dans le brouillard et cherchait à tâtons une porte de sortie du labyrinthe de sa vie.
Elle avait déposé les armes, refermé ses paupières, attendant de s’envoler dans l’immensité du ciel qu’elle avait si souvent désiré rejoindre et ainsi déployer ses ailes pour redécouvrir le sentiment de la liberté.
« L’amour est si exigeant, si égoïste, qu’il fait rarement le compte des sacrifices qu’il impose. » – Victor Cherbuliez
Elle le regardait, se remémorant cette phrase prononcée devant l’autel, une ode à l’amour éternel qui se révélait être un pacte avec la mort, l’oubli de soi pour ne se consacrer qu’à l’autre.
« Je promets de t’aimer, pour le meilleur et pour le pire, dans la maladie ou en bonne santé, jusqu’à ce que la mort nous sépare. ».
Enfermée dans cette cage, coupée de ses ailes, ses cris de détresse restaient noués dans sa gorge. Elle attendait patiemment la mort, la clé pour ouvrir cette porte derrière laquelle elle voyait sa vie disparaître.
Après plusieurs mois, les enfants se rendirent compte que la maladie de leur père avait précipité leur mère dans sa chute.
Les traits tirés, assise sur une chaise lorsqu’ils passèrent la porte de la maison familiale, aucun mot ne fut prononcé tandis que les larmes s’entremêlaient dans une étreinte infiniment chaleureuse.
La libération qu’elle avait silencieusement espérée était enfin là. Un soutien, une bouffée d’oxygène après avoir été si longtemps en apnée.
Ils prirent le relais tandis qu’elle reprenait des forces.
Sortant de sa cage, elle savourait à nouveau la simplicité de moments partagés sous l’œil bienveillant de ses enfants et petits-enfants, délestée d’un poids qu’elle avait porté seule.
Elle n’était plus cette femme fragile indirectement frappée par la vie, mais une figure pleine de courage, un guerrier qui s’était relevé après un long combat, un phénix renaissant de ses cendres, symbole de force éternelle.
« Après une souffrance, laissons-nous la chance de renaître, de revivre et de croire à nouveau. »
– Marie-Christine Duquette et Annie Germain