Il est coutumier, lors de l’écriture d’une biographie, d’évoquer les émotions et les sentiments qu’ont provoqués en vous certains événements de votre vie.
Et si, à l’occasion de nos séances d’écriture biographique, nous approchions votre récit d’une autre dimension, celle de votre peau ?
Répertoriée comme organe à la fois physique et sensoriel, la peau a été définie par Didier Anzieu, dans ses travaux sur le Moi-Peau, comme véritable organe psychique. La peau est, selon le psychanalyste, une interface dont un côté est tourné vers l’intériorité et l’autre, vers l’extérieur. Notre vie est faite d’interactions entre notre psyché et le monde dont la peau se fait la véritable messagère. Nos réactions par rapport aux autres et aux événements s’inscrivent sur notre peau ; de même que notre peau avec ses marques peut conditionner notre relation à l’autre. Je reviendrai dans un second billet sur les maladies dermatologiques qui déterminent notre place affective et sociale qui, elle-même, aggrave à son tour nos maux dermatologiques.
Pour que l’écriture de votre parcours de vie s’ancre/s’encre dans le papier, il peut paraître important d’écouter d’abord ce que votre peau a à vous dire, de déchiffrer ce qu’elle vous écrit (par ses rougeurs, ses pores, ses suintements, ses cicatrices) afin de relier ensuite ses messages à votre chemin existentiel.
Il ne faut pas oublier que le premier côté de l’interface de notre peau – en lien avec notre être – a eu comme contact originel la peau maternelle, avant que ce contact ne soit remplacé par celui des autres en général.
- Comment votre peau a-t-elle été aimée ? C’est par des sensations comme le rugueux, le soyeux, le chaud, le froid, le métallique, le doux, le plaisir, la douleur que nous pouvons retrouver le contexte de votre naissance.
- Comment votre peau a-t-elle aimé ? Des réminiscences comme le contact avec le ventre de votre mère au moment du biberon, la main d’un autre enfant dans une cour de récréation ou la présence rassurante d’une peluche au cœur de vos nuits sont susceptibles de s’inscrire dans les feuillets de nos entretiens.
- Nous pouvons faire une liste de toutes les personnes qui vous ont touché(e) avec la singularité de leur propre peau : ressentir sur votre joue le menton ridé de Grand-Mère quand elle vous embrassait, la barbe de Grand-Père… C’est parce que votre mémoire se frayera un chemin à travers la peau des autres que nous recueillerons les plus précieux souvenirs, ceux sur lesquels s’est construit votre être et qui constitueront le fil directeur de votre livre de vie.
- Outre votre entourage, comment votre peau a-t-elle ressenti la présence du monde ? Il est possible d’explorer les sensations éprouvées avec les quatre éléments – eau, terre, air, feu… Et reviendront peut-être dans votre voix et sous ma plume ces vacances au bord de la mer ou à la campagne, quand vous marchiez dans le sable ou sur l’herbe mouillée. Comment vous sentiez-vous, alors ? Libre, heureux, seul, insouciant, » un peu triste car je n’avais pas Claire à mes côtés ! » …
- Des réminiscences plus brutales peuvent également se faire jour. Nous verrons à quel vécu émotionnel elles renvoient. « Je me souviens de ces vacances au bord du lac d’Annecy, ce coup de soleil mémorable sur mes épaules. Cela m’a tenue éveillée toute la nuit. La Biafine n’apaisait en rien les brûlures. Même si ces rougeurs intenses ont disparu, leurs douleurs m’ont à jamais marquée au fer rouge, d’autant plus qu’à cette époque-là, Paul me dédaignait. Son cruel mépris m’a vraiment blessée. Je n’avais rien fait pour mériter cela. »
- Il sera aussi important – mais non obligatoire car rien n’est jamais obligatoire dans le processus d’écriture biographique – de nous entretenir sur vos éventuelles taches de naissance – à quelle fidélité généalogique, à quelle transmission générationnelle renvoient-elles ? « Cette tache de naissance, je la partage avec ma mère. À bien y réfléchir, nous avons le même karma. » -, grains de beauté – Y tenez-vous ? Vous ont-ils déjà angoissé(e) ? Quelle valeur identitaire révèlent-ils ? « Je ne me séparerais pas de mon grain de beauté dans le cou, c’est tout moi, ça ! » -, cicatrices – Qu’ont-elles incrusté en vous ? « La marque que j’ai au poignet, c’est quand j’ai frôlé imprudemment un fer à souder. J’ai tellement crié. Mais Papa s’est bien occupé de moi. C’est là que j’ai su qu’il m’aimait vraiment, même s’il m’avait adoptée. Avant, j’en doutais. »
- De même, nous pourrons nous intéresser à tout ce qui s’est écrit volontairement et artificiellement sur votre peau. À ce titre, le tatouage est un excellent thème à explorer. Que représente-t-il ? Avec quelles encres a-t-il été créé ? À quelle occasion l’avez-vous fait ? Pour qui ? Pour quoi ? Vous risquez d’être surpris par le flux des sensations à valeur émotionnelle qui remontera et s’épanchera sur le papier. « Cet ange, je l’ai tatoué sur mon bras pour Maxime. Je l’ai fait dans une boutique qui se tenait dans une petite ruelle où l’on entendait les éclats de voix des terrasses de café, non loin de là. En sortant de la boutique, j’ai été sensible au soleil qui éclairait ma peau gonflée. Maxime a toujours été un ange pour moi. Ce tatouage lui est dédié par-delà sa mort. »
- Les produits qui ont été appliqués sur votre peau constituent des marqueurs d’une période bien précise de votre existence. À quel âge avez-vous utilisé votre premier parfum ? Qu’en est-il du maquillage, du blush, du fond de teint, de toutes les crèmes possibles ? « Quand j’ai posé la première touche de rose sur mes joues, j’ai été fière. Enfin, je me créais ma propre image, indépendamment du regard de ma mère… »
- Votre peau s’inscrit dans une culture, une civilisation avec son contexte, ses rites de passage. Peau nordique, peau méditerranéenne… Les évocations mémorielles ne seront pas les mêmes… Des souvenirs sur la pose du henné lors de la cérémonie de mariage d’une cousine dans un village du sud du Maroc ouvriront, par exemple, un chapitre sur toute une fresque sociale, religieuse et familiale… Ces descriptions seront bien la preuve que votre peau est toujours reliée à celle de l’Autre universel, de la tribu, du clan au-delà du temps et de l’espace. En effet, la mémoire dermique est proche de l’inconscient – pulsionnelle, instinctive, elle fait fi des lieux et des ans en se rattachant à une mémoire collective.
- Je ne peux clore ce billet sans évoquer la peau érotique et tout le cortège d’émotions et de sentiments souvent bien vivaces encore qu’elle peut faire défiler dans un livre. Quelles caresses avez-vous reçues, données ? Quand et où ? En décrivant ses sensations amoureuses, on décrit également la peau de l’amant(e), puis, peut-être, la couleur de la tapisserie de la chambre d’hôtel, la texture de la couverture » dont j’aimerais retrouver la rugosité sous mes reins quand il m’étreignait ».
Bien sûr, votre peau peut avoir vécu et enregistré des contacts beaucoup plus désagréables, difficiles, éprouvants dans le cadre de traumatismes tels que la violence, les abus, la maladie…
Je consacrerai un billet, intitulé Votre biographie ; de l’écriture à la cicatrice, à cette problématique.
Quoi qu’il en soit, le chemin du récit de votre vie sur la page est d’abord un chemin de peau, tracé par la Vie elle-même.
Et lorsque nous serons ensemble arrivés à destination/à destinée, nous constaterons avec satisfaction que votre livre, comme votre peau, possède une interface dont un côté est tourné vers votre Moi profond et l’autre côté vers autrui – votre potentiel lecteur, qu’il vous soit proche ou lointain, y compris s’il n’est que vous-même/m’aime.
Géraldine Andrée Muller
Écrivain privé-biographe familiale-écritothérapeute
Pour connaître davantage mon travail d’écriture biographique et thérapeutique, rendez-vous sur mon site L’Encre au fil des jours