Ceux qui ont un parcours de vie brisé hésitent à écrire leur biographie. Ils pensent, à tort, que l’écriture d’une biographie n’est destinée qu’à mettre en valeur une vie brillante, sans accroc, propre à susciter l’envie chez le lecteur, tout en lui servant de modèle. Je reviendrai dans un prochain billet sur l’écriture d’une vie dont la trame a subi maintes déchirures, voire a été interrompue.
En attendant, je me permets de dire que l’écriture d’une vie lisse, sans anicroche est beaucoup moins intéressante que la biographie d’une vie où il y a eu des heurts, des bosses, des incidents, des accidents…
J’ai déjà expliqué dans un autre article qu’entamer le processus de l’écriture d’une biographie thérapeutique permettait de tracer un chemin de résilience, certes, à travers votre esprit, mais aussi à travers votre peau.
En effet, la peau porte la mémoire de votre histoire émotionnelle et psychique.
Taire ses traumas, les garder pour soi, les enfouir dans le silence des tabous, des non-dits, c’est créer une lésion corporelle.
Alors, à l’inverse de ce que pense Raymond Queneau, les grandes douleurs n’ont jamais pu être tout à fait « muettes » !
Selon Elisabeth Roudinesco, dans son Dictionnaire de la Psychanalyse,
» La médecine psychosomatique décrit la manière dont les maladies organiques sont provoquées par des conflits psychiques en général inconscients. »
Et si la page devenait le réceptacle de ces conflits, afin que ceux-ci n’aient plus aucune incidence sur votre psyché et sur votre corps ?
Il existe un rituel en magie blanche ou en rituel de protection de soi qui consiste, lorsqu’on se sent attaqué par certaines sources de toxicité, d’entrer en méditation afin de visualiser en dessin un double de soi qui reçoit à votre place ce qui vous blesse, de telle sorte à ce que votre Être psychique et physique ne soit plus directement touché. La page peut également jouer ce rôle de cible.
Il ne faut pas oublier qu’écrire, c’est blesser le papier.
L’écriture, même si elle paraît douce et légère, ne se réalise jamais en douceur. La plume gratte le papier, l’écorche, le creuse… D’ailleurs, n’est-elle pas voisine de la gravure qui taille profondément dans la pierre une figure ou un message ? Le stylo- bille, lui aussi, appuie fortement sur la feuille au point que souvent, le tracé des lettres transparaît au verso. Certains poètes ou écrivains comparent l’encre au sang ou à une sécrétion qui coulent. Dès mon adolescence, je visualisais dans mes journaux intimes, l’encre comme du sang bleu. L’écriture n’est jamais propre : elle bave, elle suinte, elle suppure à la manière d’une blessure. Ce n’est pas un hasard si l’interprétation des taches d’encre fait partie des méthodes d’investigation psychanalytique…
Ensemble, nous pouvons inscrire vos douleurs sur le papier afin qu’elles cessent de s’inscrire dans votre corps.
Pour cela, la hantise du souvenir doit cesser. C’est à cette fin que l’écriture biographique va opérer l’équivalent d’un exorcisme, à savoir mettre hors de vous ce qui s’est inscrit en vous comme un déterminisme afin que ce pattern ne revienne plus, comme le dit Jung, sous forme de « fatalité » dans votre vie.
Ensemble, nous allons déposer sur la page
- Les croyances limitantes, les préjugés dont vous avez souffert et que les autres ont gravés dans votre esprit en tant que projections d’eux-mêmes : « Je ne suis pas assez beau, intelligent, vif, débrouillard puisque c’est ma mère qui le disait… » etc.
- Les petites injustices ou trahisons répétées qui, parce qu’elles ont été répétées justement, ont ouvert en vous une brèche aussi profonde qu’une grande injustice ou trahison.
- Les situations d’abandon, de dénigrement, de rejet qui vous font croire que vous ne méritez pas cette vie, ce livre, le bonheur…
- Les cas de spoliation, de vols, de deuils qui vous incitent à ne pas profiter de ce que vous possédez, recevez de peur que cela ne vous soit retiré plus tard…
- Les schémas de culpabilisation (en lien avec l’item précédent » : « Si je prends trop de plaisir, je vais le payer ! »).
- Les abus de toutes sortes (sévices, viols, manipulations mentales) qui vous ont fait absorber le poison de votre adversaire au point de vous reprocher d’être victime : « C’est ma faute, je n’ai pas su me défendre, voir qu’il me dupait... »
- Les traumas réguliers qui ont touché votre âme, percé l’enveloppe de votre intégrité psychique pour laisser leur trace sur votre corps : harcèlement moral, contact avec un pervers narcissique, accusations injustifiées… « Suite à cet épisode de harcèlement moral dans mon entreprise, j’ai pris beaucoup de poids. »
- Les grandes pertes (être cher, biens) qui vous ont imposé de changer radicalement et brutalement de vie…
La liste n’est pas exhaustive.
Il faut savoir que la profondeur d’une lésion corporelle témoigne de la profondeur du trauma.
« Mais, me diriez-vous, comment créer un livre de vie cohérent à partir du caractère incohérent d’un trauma, d’un abus ? »
C’est justement là que mon accompagnement en biographie thérapeutique intervient. Ensemble, nous mettons en mots la mémoire de vos maux :
- Quand ces derniers sont-ils apparus ?
- Si nous devions les définir par une couleur, un son, un toucher, une odeur, une saveur, quelles(s) sensation(s) serait-ce ? Ce n’est pas un hasard, par exemple, si la couleur de l’encre – qu’elle soit bleue ou noire – renvoie aux bleus de l’âme, aux hématomes intérieurs, aux ecchymoses psychiques !
- Souvent, de telles sensations peuvent nous emmener plus loin, à une sensation éprouvée dans la prime enfance… Dans ce cas, nous campons le contexte narratif dans lequel s’inscrit cette sensation originelle…
- Puis nous nous attachons à décrire votre état émotionnel et sensoriel, une fois que le mot a désigné précisément le mal : « Je me sens plus libre… C’est comme si cette violente vague m’avait déposé sur la rive… »
- Enfin, nous écrivons sous forme de visualisation votre avenir qui intègre cette cicatrice dont vous pouvez faire, par la suite, une source de création, d’inspiration : « La marque de ce coup m’incite à être plus douce avec moi-même aujourd’hui… J’aime le soyeux, le duveteux dans lequel je m’enroule pour écrire le matin…. J’ai même adopté un chat. Il possède cette compréhension instinctive de mes états d’âme que cet homme ne possédait pas. »
- Une fois votre chemin de résilience tracé, nous trouvons un titre à votre livre, suffisamment percutant pour condenser en quelques mots cette expérience marquante : « À ma vie revenue » .
- Notre méthode peut conjuguer approche chronologique et approche thématique, ce que j’expliquerai dans un prochain billet.
De même qu’il est très rare qu’une peau soit dénuée de cicatrice, il est très rare qu’une biographie soit dépourvue d’épreuves.
Aussi, de la même manière que l’on peut contempler, à la sortie du bain, les cicatrices de son corps en les reliant chacune à leur histoire ( « Tiens ! ça, c’est l’anecdote de ma chute en vélo ; ça, le souvenir de ma brûlure sur le fer à repasser ; ça, quand je me suis heurtée à l’angle du buffet, ce qui m’a valu trois points de suture… »), on peut relire les événements qui nous ont éprouvés, marqués pour constater qu’ils ne constituent pas seulement un récit ; ils font de Nous – c’est-à-dire de notre Être entier – une histoire complète.
Et, comme on observe ses anciennes blessures physiques sans éprouver désormais de douleur, on relit sa propre histoire avec toute la distance émotionnelle salutaire à la guérison. On s’observe de l’extérieur ; on se considère autrement ; on se dit :
– C’est moi, ce guerrier ! Cette guerrière ! Si je suis ainsi couvert de cicatrices, c’est la preuve que j’ai combattu… et vaincu !
Telle sera ainsi votre histoire de vie : bien plus qu’une cicatrice, elle sera une preuve incontestable, un témoignage indubitable de votre véritable vécu.
Géraldine Andrée Muller
Écrivain privé-biographe familiale-écritothérapeute.
Pour connaître davantage mon travail d’écriture biographique et thérapeutique, rendez-vous sur mon site : L’Encre au fil des jours